Ce livre contient les paroles de la pièce de théâtre interprétée par le célèbre avocat pénaliste (entre autres). Je n'ai pas assisté à une quelconque représentation.
Cette pièce relate son enfance, le début de sa carrière, ses expériences professionnelles et surtout ses coups de gueule.
La partie sur son enfance est courte : petit fils d'immigrés italiens qui vit la xénophobie de la France des années 60, l'assassinat de son grand-père et la mort de son père cancéreux. Autant d'injustices qui le motiveront, comme l'annonce de l'exécution de Ranucci et son intention de séduire les femmes par les mots, car il ne pense pas être capable de « pécho en teboi ». Le début de sa vie pro est résumée aux galères pour obtenir du travail d'un avocat qui veut se consacrer exclusivement au pénal (il échouera) et la prise sous son aile par l'avocat toulousain Alain Furbury.
Concernant son expérience professionnelle et ses coups de gueule, les thématiques abordées sont le rôle de l'avocat défenseur, le blâme du rôle institutionnalisé de victime, le tribunal médiatique, la liberté d'expression et la délation, ainsi que la moralisation rampante de notre société (sur des œuvres, la cigarette est effacée du bec de fumeurs notoires comme Malraux ou Gainsbourg ; être vegan ou un gros crevard ; faire du sport, etc.).
Je regrette que les définitions soient uniquement dégrossies par des exemples et que les prises de position soient aussi peu argumentées et aussi peu nuancées en mode "c'est comme ça et pis c'est tout". Comment convaincre quiconque que les déjà convaincus ?
- Les lanceurs d'alerte sont assimilés, sans nuance, à la délation ;
- Élise Lucet est uniquement présentée comme une grande méchante qui force les gens à parler contre leur gré, ce qui nuirait à la présomption d'innocence (que faire d'autre quand les autorités de contrôle sont inefficaces ?) ;
- Il paraîtrait que, dans les bars populaires du 20e siècle, contrairement aux réseaux sociaux du 21e siècle, on faisait immédiatement taire les imbéciles. Sur la même période, je constate une propagation de l'antisémitisme partout en Europe et l'organisation des ouvriers pour tenir tête à leur patron… :
- Le tribunal médiatique n'est pas vraiment défini et l'on mélange des pratiques saines comme la mise sous pression d'un procès (que l'auteur nomme procès combat) qui a pourtant permis d'éviter des dérives (Tarnac, libération de militants chopés en manifs), au mouvement #balancetonporc dont le manque de moyens et de considération de la justice ont été le lit, aux mises en scènes par les médias de coupables idéaux, qui, elles, me semblent scandaleuses.
Quelques notes intéressantes sur le rôle de l'avocat, de la victime et du juge :
- L'avocat doit être impertinent et insolent. Rectifier un juge ou dénoncer l'agissement d'un flic, ce n'est pas du courage, c'est inclus dans la profession d'avocat ;
- L'acquittement, ça ne veut pas dire innocent, ça veut dire pas coupable par absence de preuves (ou par présence du doute). C'est le prix de la paix sociale. C'est le prix à payer pour ne pas sanctionner des innocents ;
- Comment peut-on défendre un assassin d'enfants ou un terroriste ? « Rien n'est plus facile que de dénoncer un être abject. Rien n'est plus difficile que d'essayer de le comprendre » a écrit Dostoïevski. L'accusé a besoin d'une défense car, au tribunal, il devient le faible, tout est bon pour l'accabler, le lyncher ;
- Le juge rend la justice en fonction de sa morale, alors que c'est celle de l'accusé qui compte. Exemple: pour démontrer que DSK est un proxénète, le juge explique qu'une sodomie sur une femme est forcément un acte payant. Autre exemple : le juge qui refuse sa remise en liberté à un assassin qui a tué l'amant de sa femme au motif que son acte est caractérisé, car il est lui-même infidèle… Quelques mois après, l'avocat appris l'infidélité du juge… et obtient la remise en liberté ;
- Exiger de lourdes peines comme condition nécessaire pour être en mesure de faire son deuil revient à créer une nouvelle injustice pour soi-disant "réparer" l'acte fautif : la sanction doit être proportionnée, pas être modulée comme la dose d'un médoc administré au plaignant. L'avocat et l'institution ne doivent pas encourager la haine légitime de l'accusé par la victime. Exister en tant que ZE victime n'aide pas à faire le deuil ;
- Il faut aimer les hommes pour les juger. Il ne faut pas vouloir régler des comptes. Il faut savoir qui l'on est, ne pas détester plus beau ou plus laid que soit, plus cultivé ou plus ignorant, etc. ;
- Une décision prise à l'unanimité est-elle sage ? L'absence de voix discordantes ne signifie-t-elle pas que l'on est passé à côté de quelque chose ?
Bref, c'est un livre que l'on peut lire, mais sans plus. Les non-initiés sont très peu pris en main dans la définition du rôle de l'avocat, de la victime et de l'institution judiciaire. Le reste n'est qu'une compilation de coups de gueule sans nuance enchaînés au débit d'une mitraillette. On est content quand ça s'arrête. Je recommande plutôt la lecture du recueil de trois plaidoiries de François Sureau orientées sur la question des libertés.