Je regardais une émission d'Usul sur les élections européennes 2019. On y trouve des extraits d'un """"débat"""" télévisé et donc des propos tenus par l'extrême-droite. Wauquiez : « […] celui qui vient chez nous n'a plus à cœur d'adopter notre identité, mais de contester notre mode de vie […] » (5 minutes 56). Le Pen : […] ils arrivent aujourd'hui, en France, en réalité pour la changer. Ils veulent y imposer leurs codes, leurs mœurs, leurs traditions, leurs modes de vie […] » (6 minutes 18).
En écoutant ça, je pensais à moi. À moi dans le milieu professionnel.
En tant qu'étranger à un employeur, j'arrive chez un employeur avec mes valeurs et mes envies (curiosité, collaboratif, horizontalité, logiciel libre, transparence des décisions, etc.). J'arrive avec mes pratiques (voir Du « bonjour » en entreprise, Apporter des journaux au boulot ? Yep !, mes pratiques professionnelles, ma façon de m'exprimer, etc.). J'identifie des procédés foireux, j'en corrige, je pousse au changement, à l'adoption de nouvelles pratiques techniques et organisationnelles, etc. Bref, j'arrive avec tout ce qui fait que je suis moi, pour le meilleur et pour le pire.
Évidemment, mes valeurs, mes pratiques, mes initiatives, etc. entrent en conflit avec celles de la structure pour laquelle je travaille et avec celles des collègues (non, ce n'est pas forcément les mêmes, lire l'exemple du couple ci-dessous). Faut-il pour autant me rejeter ? Ne faut-il prendre en compte le positif que j'apporte et rejeter le négatif ? Ne faut-il pas construire le cadre qui permettra d'exprimer ce positif ? Ce cadre est-il une exception au cadre général et jusqu'à où ? Un cadre général n'est-il pas la somme des exceptions aux valeurs et pratiques de chacun acceptée par le groupe ? Ne faut-il me faire adopter une partie de la culture, de l'état d'esprit de l'organisation, du service, tout en me laissant la possibilité d'en dénoncer les carences, les contradictions, etc. ? Bref, faut-il m'intégrer ? Mes trois précédents employeurs n'ont pas fait cet effort. T'es pas exactement comme on veut ? Tu dégages. J'ai donc rien apporté à l'organisation. Peut-être que c'est mieux, peut-être que c'est tant pis.
Évidemment, je n'accepte pas une proposition d'embauche avec l'intention de changer l'organisation que je vais rejoindre. Penser cela est ridicule. Je viens travailler pour bouffer, et comme chaque chose de la vie, autant le faire bien et agréablement, ce qui nécessite quelques adaptations du cadre, car nous sommes tous différents, nous avons tous des pratiques, des aspirations et des besoins différents.
On dit des couples amoureux qu'ils doivent faire 1 + 1 = 3. Chaque personne doit conserver son identité propre et une nouvelle identité apparaît : le couple. Il est la somme de ce que chaque membre y met ou y retire en permanence, volontairement ou sous la contrainte de l'autre, et des contradictions / paradoxe de chaque personne (j'ai tel trait de caractère, mais, pour le couple, je l'estompe ou je le mets en avant, par exemple).
C'est pareil pour une famille, un travail, un pays, etc. : ces identités naissent du consensus mouvant permanent et s'ajoutent aux identités propres des personnes qui les constituent. Évidemment, plus il y a de personnes, plus le consensus sera mou, car il est plus difficile de créer du commun à plusieurs.
Rejeter l'étranger, c'est rejeter la nouveauté (l'apport de l'autre et le fait que cela changera le consensus) au motif que c'était mieux avant (vraiment ?). Préférer la simplicité (pas besoin de se demander si les nouvelles pratiques sont mieux + il y a moins de tensions entre gens homogènes, pas besoin de se mettre d'accord dans la friction). C'est s'inventer un ennemi extérieur qui déforme et menace le monde merveilleux intérieur (comme si ça existait, bonjour les péteux !). C'est la rhétorique classique de la droite, pourtant.