Blé + pain qualitatifs + autonomie financière + entraide versus standardisation des semences, blé gorgé de pesticides + pain blanc peu nourrissant, trop salé, gorgés additif et de gluten.
Dans “Notre pain est politique” (Editions de la dernière lettre), des paysans-boulangers racontent leurs blés merveilleux, leur fournil, leur lutte contre le mauvais pain industriel. Goûteux !
« Cet ouvrage contient probablement des traces de gliadines et de gluténines, protéines insolubles. » On comprend qu’après deux années d’écriture, de réunions, d’échanges internes, et tout cela entre foin, moisson, pétrissage, cuisson et vente à la ferme, la dizaine de paysans-meuniers-boulangers auteurs, avec l’aide du journaliste Mathieu Brier, de ce riche et bel album ait eu envie de conclure sur cette facétieuse petite touche finale…
Pourquoi leur pain est-il politique ? Tout commence, racontent-ils, avec le mouvement anti-OGM de la fin des années 90. Nombreux sont alors les paysans proches de la Confédération paysanne qui remettent en question la standardisation des plantes par l’agro-industrie, laquelle impose un nombre restreint de variétés génétiques, obligatoirement « distinctes, homogènes et stables ». Et surtout rentables (et peu importe le goût). Comment échapper à cette tutelle, à cette uniformisation, à l’appropriation du vivant ? « C’est une monstruosité, dit l’une des paysannes, cette idée que les semences ou les gènes puissent appartenir à quelqu’un plutôt qu’à tout le monde ».
En 2004, en Auvergne-Rhône-Alpes naît le Groupe Blé, qui réunit aujourd’hui de 30 à 40 fermes. Ses membres se mettent à récupérer des grains chez des paysans qui les ont conservés au champ (en les replantant chaque année), mais c’est surtout dans les réfrigérateurs du centre de ressources génétiques de l’Inra à Clermont-Ferrand qu’ils en trouvent. Ils les sèment, observent les résultats ; ces blés sont multipliés, échangés, distribués aux amis, conservés. Ils évoluent « au gré des saisons, des usages, des fermes qui les accueillent ». Ainsi cette variété repérée par l’un d’eux dans une parcelle de collection, avec « des tiges hautes mais solides, un épi non barbu, rouge brique, assez long ». Ayant oublié son nom, il le nomme provisoirement « Inconnu », mais deux ou trois saisons et quelques bourses d’échange suffisent à rendre cet inconnu célèbre. Trop tard pour le débaptiser !
Tout naturellement, « une fois que l’on fait son blé et sa farine, faire et vendre son pain apparaît comme une bonne solution pour permettre quelques revenus et tenir sur la ferme » : ils se font paysans-boulangers. Bien sûr, leur pain n’a rien à voir avec celui que fabriquent à la chaîne les puissants groupes de l’industrie boulangère, lequel est « massivement blanc, peu nourrissant, avec trop de sel, de pesticides et d’additifs », et en prime plein de glutens très tenaces et globalement mauvais pour la santé.
Nos paysans-boulangers disent tout ici de leur savoir-faire accumulé et de leurs pratiques collectives, nous enseignent le b.a.-ba des semences, des variétés, du pain, de sa cuisson, nous expliquent la différence entre four romain, four a gueulard et four Soupart, nous éclairent sur les géants de la boulangerie industrielle, etc. S’ils savent que la mode est aux pains dits « artisanaux », aux « semences anciennes » et au « retour du levain », ils précisent que leur but n’est pas de « construire une énième marque de qualité à apposer sur des pains ». Ce qu’ils veulent, c’est faire tout le contraire de l’agro-industrie dominante. Travailler avec la nature (et pas contre), privilégier la qualité (et pas la quantité), vivre de manière autonome (et pas à la merci des intérêts financiers), pratiquer avant tout l’entraide (et pas la compétition). Oui, le pain est politique !
Dans le Canard enchaîné du 2 octobre 2019.