La loi était censée en finir avec un régime d’exception. Elle le rend permanent. Bravo les artistes !
Le projet de loi sur la sortie de l’état d’urgence, discuté ces jours-ci à l’Assemblée, file des angoisses à Emmanuel Macron. Comme le Président l’a expliqué à des proches, il s’agit d’éviter à tout prix que le débat ne parte en vrille et ne donne à Mélenchon le loisir d’élargir sa croisade contre les ordonnances « en faisant entrer les étudiants et les lycéens dans la danse », au nom de la défense des libertés publiques…
Comme pour justifier ses craintes, des personnalités de droite qui ne lui étaient jusqu’à présent guère hostiles, tel le défenseur des droits, Jacques Toubon, dénoncent à leur tour une dérive « dangereuse ». L’ancien garde des Sceaux de Chirac ne prend plus de gants pour dénoncer ce projet de loi qui prétend préparer la sortie de l’état d’urgence mais qui l’intègre à la législation ordinaire. Cette loi « remplace les faits par le soupçon », a martelé Toubon (RTL, 25/9).
Police de la pensée
Autrement dit, en matière de terrorisme, les gens ne seront plus jugés pour ce qu’ils ont fait mais pour ce que la police et des magistrats penseront qu’ils sont susceptibles de faire. « C’est la loi des suspects ! » clament d’une même voix Toubon et l’avocat Henri Leclerc, figure emblématique de la gauche, en référence à la loi promulguée sous la Terreur, en 1793.
Fait inédit en démocratie, la version de la loi examinée actuellement par les députés pousse le bouchon jusqu’à sanctionner les « mauvaises pensées ». Ainsi, son article 2 ne se contente pas de prévoir que les préfets auront la possibilité de fermer un lieu de culte qui serait le théâtre de paroles, d’écrits ou d’activités en faveur du terrorisme, ce qui pourrait sembler normal. Il vise également les « idées ou théories » qui ne seraient, donc, exposées ni oralement ni par écrit, et encore moins concrétisées. La machine à lire dans les cerveaux est fournie en option ?
Hanté par l’inaccessible Graal du zéro attentat, le gouvernement a ainsi voulu se garder la possibilité d‘agir… même quand la police est incapable de dénicher la moindre preuve ! L’idée - réjouissante - qu’il vaudrait mieux sanctionner un innocent que de laisser un coupable impuni aurait-elle commencé à peindre dans l’esprit d’Emmanuel Macron ou du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb ?
Et Jacques Toubon de s’interroger : que se passera-t-il si « de tels textes, qui portent atteinte aux libertés, tombent entre les mains de gouvernements non démocratiques » ? Comme si c’était possible, en Europe… Cette indigeste tambouille législative bouscule d’autres principes fondamentaux. Elle mélange allègrement les compétences de la police adminisatrative (les poulets veillant à la sécurité publique sous les ordres du gouvernement) et celles de la police judiciaire (les flics enquêtant sous le seul contrôle des magistrats).
Contrôleurs pour du beurre
Quatre experts de la sécurité - guère connus pour leurs penchants gauchistes - s’alarment de cette situation dans une analyse très fouillée publiée sur le site Internet de L’Hétairie (un club de réflexion affiché, lui, à gauche). Ils expliquent que le texte va octroyer des pouvoirs judiciaires à la police administrative, qui pourra perquisitionner ou assigner à résidence à discrétion, ou peu s’en faut.
Certes, les poulets devront solliciter l’autorisation du juge des libertés avant d’enfoncer la porte d’un particulier. Mais cette précaution semble relever de la coquetterie juridique. Comme le prédisent les auteurs, les policiers ne manqueront pas d’invoquer le secret-défense face aux magistrats et ne leur fourniront pas d’éléments concrets pour justifier leur demande de perquisition.
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Et pour cause : l’existence d’un indice sérieux impliquerait comme le veut la loi, le dessaisissement immédiat des services de renseignement au profit des juges et de la police judiciaire. Résultat : la justice devra, le plus souvent, se contenter de croire les flics sur parole et signer à la chaîne les permis de perquise…
Les chiffres officiels, cités par un récent rapport parlementaire, laissent songeur. Le « rendement » des perquisitions administratives, indique-t-il, s’est révélé quasi nul durant l’état d’urgence, en vigueur depuis novembre 2015. Sur 4 300 visites domiciliaires, moins de 0,7 % ont débouché sur des dossiers concrets. A cet égard, une nouvelle loi s’avère d’autant plus inutile que le cadre strictement judiciaire permet déjà aux enquêteurs de procéder à toutes les perquisitions possibles, de jour comme de nuit.
Mais les champions de la course à l’échalote sécuritaire n’en sont plus à une absurdité près…
Dans le Canard enchaîné du 27 septembre 2017.