Que fait une institution internationale, comptant 192 pays membres, lorsque certains de ses adhérents rechignent à payer leur cotisation ? Elle cherche de l’argent ailleurs. C’est-à-dire vraiment n’importe où.
Interpol est une organisation de police criminelle qui règne sur la planète. De l’Afghanistan au Zimbabwe, la terre entière est rassemblée sous le drapeau frappé du glaive, des lauriers et de la balance. Prostitution, trafics d’organes, de drogue, de cigarettes, de médicaments, corruption ou évasion fiscale, l’internationale du crime répond à la mondialisation de l’économie. Et Interpol s’érige en flic mondial, appelé à mettre en échec tous les bandits du monde.
Problème : Interpol est la 2e organisation internationale après les Nations unies, mais les contributions annuelles de ses pays membres dépassent à peine les 50 millions d’euros. En comparaison, c’est avec 7 milliards de budget que le seul FBI fonctionne…
Bas-fonds
Le 3 novembre 2000, l’Américain Ronald Noble devient secrétaire général d’Interpol. Ancien magistrat, Noble décide d'ouvrir l'institution policières et ses données au partenariat public-privé. Son but ? Atteindre le milliard de dollars.
En 2011, alors que la Fédération internationale de football (Fifa) est entrée dans l’ère du soupçon, Sepp Blatter, son président, signe un partenariat de 20 millions d’euros avec Interpol pour, notamment, participer à la lutte contre les matchs truqués. Une aimable plaisanterie. Ainsi, quelques années avant que le « système Blatter » s’effondre pour corruption, sous les coups du FBI et de la justice helvétique, la Fifa finançait vaillamment l’organisme policier chargé de déjouer ses vilains tours.
Pour 15 millions de dollars, voilà aussi Interpol devenu partenaire fumeux de Philip Morris International, pour aider à combattre la contrefaçon. En 2004, le cigarettier avait payé 1,25 milliard à la Communauté européenne après avoir alimenté une contrebande de cigarettes pour détourner les taxes du tabac. Oublié, tout ça. Evidemment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) voit rouge. D’autant que des laboratoires pharmaceutiques se pressent, eux aussi, pour recevoir le précieux label policier.
En 2014, l’Allemand Jürgen Stock devient le nouveau secrétaire général d’lnterpol. Et décide de ne pas renouveler quelques partenariats trop voyants. Mais il accepte que certains Etats fassent preuve d’une générosité qui laisse perplexe. Comme le Qatar ou Singapour — un temps considéré comme un paradis fiscal par l’OCDE —, qui financent l’institution sans compter.
Au-delà du certificat Interpol, pratique pour redorer le blason d’un pays, certains membres abusent de la force de frappe de l’organisation, et notamment de ses fameuses « notices rouges », qui signalent des individus potentiellement dangereux. Par exemple, fort de cet avis de recherche planétaire, Pékin exige toujours l’arrestation de l’homme d’affaires chinois Guo Wengui, réfugié a New York, qui avait menacé de faire des révélations sur la corruption des élites de son pays. Cette notice rouge date de 2017. Un an plus tôt, le nouveau président d’Interpol avait été élu. Un Chinois, lui aussi. Et ancien vice-ministre de la Sécurité intérieure. Mais que fait la police ?
« Interpol, une police sous influence ? » de Samuel Lajus, le 20/3 à 20 h 50 sur Arte.
Dans le Canard enchaîné du 14 mars 2018.