Ah ! Le fameux choc des photos ! Le samedi 16 mars, à l’occasion de l’acte XVIII de la protestation des gilets jaunes, l’avenue des Champs-Elysées a été méthodiquement saccagée, du kiosquier parisien au bijoutier de luxe, en passant par le Fouquet’s ou un prestigieux fabricant de macarons.
Pour illustrer cette information, la journaliste et essayiste Natacha Polony a diffusé sur sa Polony.tv, site Web humblement qualifié de « média libre de la France souveraine », trois photos de casseurs avec pierres, nuées de lacrymogènes et drapeau frappé du A entouré de rouge. La photo principale, montrant la horde noire montant à l’assaut, a d’ailleurs été reprise à son compte par Marine Le Pen, avec la légende : « A Paris, les cagoules noires ont remplacé les gilets jaunes. Les Black Blocs détruisent, brûlent, violentent toujours en toute impunité. »
Problème : si la photo est bonne, elle n’est pas d’actualité. Elle a été prise le 1er mai 2018, lors d’une manifestation syndicale qui avait dégénéré. Et, des deux autres clichés postés par Polony, un seul est véritablement daté du 16 mars. Alors que les scènes de saccage n’ont pas manqué sur les Champs, ce jour-là.
Poids des photos, encore, avec la pause ski de Macron à La Mongie, dans les Pyrénées. En quelques heures, deux photos prétendument datées du 16 mars 2019 sont devenues virales. Macron et madame souriants, emportés par un télésiège fraîchement repeint vers les cimes enneigées. Et les mêmes à table, le Président servant du vin en magnum à ses invités. Alors, oui, Macron et madame étaient bien à La Mongie le week-end dernier, mais ils ont dû écourter leur escapade à l’annonce du désastre des Champs. Et ces photos insouciantes, qui polluent les réseaux sociaux, datent du 12 avril 2017.
Les sites du « Point » ou de « Elle » ont publié ces documents d’un autre âge. Et des personnalités, comme Nadine Morano ou Alain Houpert, sénateur LR de la Côte-d’Or, se sont indignés avec délice, tweettant : « Paris entre la main des casseurs. Macron fait du ski… Jamais un président n’a eu un tel comportement ! Mais quelle honte ! », pour Morano, et « Ils déjeunaient à La Mongie pendant que Paris brûlait. Je ne comprends pas », pour Houpert. Qui continue : Il faut qu’on m’explique ! »
Voilà qui est fait…
Je ne comprends pas : on nous a appris que ce genre de manipulations était l'œuvre exclusive des citoyens sur les réseaux sociaux numériques, et surtout pas des journalistes encartés très très sérieux et méticuleux qui, au grand jamais ne laisseraient passer des manipulations aussi grossières. Je suis tout désorienté, moi, maintenant.
Dans le Canard enchaîné du 20 mars 2019.