Le festival d'Avignon, qui se déroule annuellement tout le long du mois de juillet, transforme Avignon en ville-théâtre. Tout devient un théâtre : une salle de réception dans un hôtel, une chapelle, ou même une estrade à un coin de rue. Tout l'intra-muros s'anime : la circulation véhiculée se réduit, l'ambiance de rue est festive, les compagnies de théâtre y font de petits spectacles. Tout ça est fortement appréciable. :)
En réalité, il y a deux festivals en même temps. Le festival IN et le festival OFF.
Le festival débute par un défilé des artistes dans les rues. Évidemment, c'est à but publicitaire (distribuer des tracts, te donner envie d'assister à leurs pièces), mais c'est aussi un joyeux bazar où chaque compagnie théâtrale tente de se démarquer. J'ai bien aimé. C'est même là que j'ai déniché les pièces auxquelles j'ai assisté. :)
Comment acheter des billets pour une pièce de théâtre du OFF ? Nul besoin d'avoir la carte du festival, ni de réserver en ligne, ni même de réserver tout court. Il faut se rendre au "théâtre" 30-45 minutes avant la représentation et il est possible de payer en liquide. Le flicage par le site web, ton opérateur téléphonique et ta carte bancaire est donc parfaitement évitable.
Concernant le déroulé du festival, deux choses m'ont déplu :
Concernant les pièces de théâtre, une chose m'a marqué : en 2018, les connotations sexuelles et la sexualisation du corps des femmes ont aussi envahies le théâtre… Y'a pas moyen d'avoir une pièce avec une femme qui ne se trémousse pas, qui ne se caresse pas les seins ou autre… Peut-être que j'exagère et que c'est lié à la thématique des pièces que j'ai choisies d'aller voir…
Ici, je vais tenter un bilan des différentes pièces de théâtre auxquelles j'ai assisté (ordre chronologique).
Un cheminot responsable d'un syndicat qui se concentre (trop) sur ses actions militantes et délaisse sa femme. Pour se faire entendre, celle-ci décide d'utiliser la seule chose que son mari comprend désormais : la grève. Elle fera donc une grève du sexe.
Un bon divertissement, plein de jeux de mots mélangeant sexe et grève (« conflit sans gland »). Je retiens :
‒ Qu'est-ce que l'amour ?
‒ Oui, mon amour… je sais… c'est regarder tous les deux dans la même direction
‒ Non, chéri, ça c'est la levrette !
Sur le fond, oui, cette pièce est basée sur l'idée que les hommes veulent baiser, encore et toujours et que la femme est un produit d'excitation…
J'ai constaté une idée communément admise : les hommes peuvent être cash, se parler d'une partouze à 20 avec sodomie par un cheval, mais quand il s'agit de s'amuser à gémir / pousser des petits hurlements en public pour alimenter un jeu théâtral, il n'y a plus personnes, alors que les femmes y vont cash. Du coup, l'interaction avec le public, qui repose sur l'idée que les hommes du public vont dominer les femmes du public en intensité sonore en prend un coup. :D
Cette pièce met en lumière notre rapport (excessif) à la technologie. Plusieurs scènes du quotidien sont dépeintes, de manière exagérée pour l'occasion, comme le relou qui téléphone dans les transports en commun sans trop entendre la réponse de son interlocuteur ou la soirée entre potes où tout le monde dégaine son ordiphone ou l'enfant à naître qui a déjà sa page Facebook. On va jusqu'à un accouchement en live dans un jeu de téléréalité.
Par ricochet, cette pièce met en lumière les métiers de la création publicitaire ainsi que notre rapport à tout ce qui est superficiel (genre dans le futur dépeint, il faudrait être maquillée pour accoucher).
J'ai bien aimé (notamment la chanson de fin ;) ), même si on sentait l'accent parisien, les références parisiennes et les références bobos.
Ironie : à la fin, c'est l'une des pièces qui nous a le plus incité à les encourager sur les réseaux sociaux. :')
Cinq femmes se retrouvent pour la réunion habituelle de leur club féministe. Mais, cette fois-ci, il y a des désaccords : l'une veut quitter le groupe car ça ne l'amuse plus, une autre le lui refuse implicitement (ce qui met sur le tapis la vieille question de l'engagement militant), une autre veut changer la définition du féminisme car l'actuelle fait trop peur aux mecs (ce qui met sur le tapis la vieille question du curseur idéologique à trouver dans une lutte militante) et toutes se demandent la "bonne manière" de militer (faut-il accepter cette invitation à une émission de TV ?).
J'ai bien aimé cette pièce, car elle ne parle pas tellement du féminisme après les quelques rappels de base, mais plutôt de la manière dont il faudrait conduire cette lutte. Une pièce pleine de doute et d'humilité.
Une pièce de théâtre qui mélange deux grandes religions, le christianisme et le capitalisme, dans une messe endiablée dont le public sera spectateur et acteur (chants, dégustation d'hostie , etc.). Le PAP'40 de l'Eglise de la Très Sainte Consommation accompagné de son fidèle assistant le Cardinal Triple A nous exposent un modèle de vie idéal : la surconsommation, le green-washing, la compétition entre les gens.
Ces deux artistes vont vraiment très, très, très loin. Dès le début, la provocation extrême, le ton est méprisant "je te prends de haut", on sacre un "ultra-riche" désigné dans le public tout en qualifiant sa femme de femme-objet, on "punit" un infidèle du public qui n'a pas assez consommé, on mime une fornication avec la planète (une baudruche), etc. Je me suis dit que ce spectacle allait être long et insupportable. Mais il n'en est rien. Et quand j'y repense, s'ils n'en avaient pas fait des tonnes, leur spectacle aurait été un documentaire sur notre mode de vie. C'est parce que c'est aussi "too much" que notre monde actuel que c'est intéressant. Ils n'en ont pas fait trop, ils ont vraiment décrit notre monde.
J'étais mal à l'aise avec certains comportements comme faire un doigt en disant « Amen, ton pèze ! » (pour l'image "le sexe c'est sale" que ça véhicule). J'étais mal à l'aise devant le traitement de femme-objet d'une personne du public (qui n'y était pas préparé et qui, parfois, était mal à l'aise dans ce rôle qu'on lui a attribué). Puis, je me suis rendu compte que ces comportements sont étroitement liés à l'idéologie économique actuelle, que ça forme un continuum. En cela, c'est une bonne chose de les dénoncer.
Ironie : à la fin, c'est la pièce qui a essayé de nous faire acheter le plus de produits dérivés… :')
Une pièce de théâtre qui met en lumière notre rapport à l'argent : que vaut une vie face à un endettement excessif ? Que vaut un système de compétition entre personnes ? Cette pièce relate le pouvoir de l'argent dans nos décisions, même quand il s'agit d'amour. L'une des sept séquences est vraiment poignante, une autre, mélangeant théâtre et jeu de lumière est vraiment intrigante et bizarre, on ressort de la représentation en mode "ha ouaaaaaais, peut-être que notre monde, c'est-à-dire chacun de nous a été trop loin".
C'est une pièce très intellectuelle, il faut notamment décoder le décor, décoder l'histoire racontée à l'inverse. J'avoue ne pas avoir tout capté. :-
Un quasi muet malentendant aigu et sa sœur nous relate les difficultés que pose cet handicap à travers la reconstitution de scènes de la vie de tous les jours : l'école où la prof parle face au tableau, ce qui l'empêche de lire sur les lèvres ; les personnes qui considèrent ces handicapés comme des bêtes curieuses, leur parle trèèèèèès lentement, voire s'adresse à la personne valide la plus proche ; la manutentionnaire d'une grande surface qui peine à le renseigner car elle parle trop vite et qu'elle a l'impression d'être prise pour une conne (la surdité peut-être partielle, toucher seulement certaines fréquences du spectre, etc. donc tu peux entendre mieux certaines choses que d'autres) ; la femme en discothèque qui, parce qu'il ne lui répond pas car il n'a pas pu entendre ni lire sur ses lèvres, pense qu'elle s'est pris un vent et le rejette, etc.
Cette pièce de théâtre est bien jouée et elle décrit très bien les problèmes. Je regrette un manque d'émotions qui aurait permis de rendre la pièce plus poignante.
Je ne sais pas si ça fait partie du spectacle ou si c'est le lieu qui n'était pas en adéquation, mais la vidéo-projection des paroles et de l'interprétation de la langue des signes était illisible depuis le premier rang à cause d'une lumière scénique saturée.
On prend la pièce Don Juan de Molière, on inverse les rôles, les hommes deviennent des femmes et inversement, et s'interroge : est-il choquant de voir une femme dans un rôle de femme forte polygame, qui séduit à gogo ?
Ma réponse ? Ça ne m'a pas choqué. La seule remarque que je me suis fait est la même que je fais le reste du temps : que tu sois un homme ou une femme, c'est pas cool d'être polygame, d'aller promettre un mariage à plusieurs personnes, sans l'annoncer à l'ensemble des personnes. Ce n'est pas le fait de draguer impulsivement qui me dérange, c'est le fait de ne pas être franc avec des partenaires qui ont tout autant le droit de réclamer une relation monogame ou autre. Homme comme femme.
Cette pièce actualisée est un bon compromis entre du théâtre classique, du théâtre engagé et du théâtre moderne. J'ai bien aimé l'intégration de musiques parfaitement à propos qui n'existait pas à l'époque de Molière comme Girls just want to have fun.