Deux, cinquante ou même cent milliards d’euros de fraude fiscale en France… Un simple coup d’œil sur les banques de données ne peut que laisser perplexe le contribuable « normal ». Surtout que jamais il n’est précisé par quelle méthodologie et quel miracle ces chiffres peuvent se révéler aussi précis pour une activité par nature clandestine.
Ça répond, partiellement, à ma question de l'autre jour. Notons que c'est bien pareil pour la fraude sociale ou les trafics de drogue, mais, bizarrement, là, l'État trouve comment évaluer et sévir… Donc attention à ne pas transformer ce constat en "toute façon, on peut rien y faire".
Pour tout simplifier, nombreux, notamment parmi les politiques et les journalistes, sans parler des gilets jaunes, sont ceux qui confondent fraude, optimisation et évasion fiscales. Commençons par le plus simple : la fraude consiste à soustraire à l’impôt tout ou partie d’une matière imposable. L’évasion fiscale se définit comme une pratique consistant à échapper à l’impôt en faisant franchir une ou des frontières à des bénéfices, à des revenus ou à des capitaux. Quant à l’optimisation fiscale, c’est l’exercice qui permet de diminuer l’impôt en profitant des possibilités offertes par les règles et les failles des lois fiscales. Une législation qui ne cesse d’être modifiée et dont la complexité fait un des charmes de l’Hexagone.
L'évasion fiscale est donc une sous-catégorie de la fraude fiscale. Mais elle peut aussi être une sous-catégorie de l'optimisation fiscale : aucune loi interdit de faire remonter, sous-forme de revente de marque, par exemple, le chiffre d'affaires d'une filiale dans une maison mère située dans un paradis fiscal. De même, certaines fraudes fiscales peuvent être vues comme de l'optimisation fiscale. Exemple : les modalités du CIR sont floues donc tout projet de prétendue recherche est défendable. La pratique deviendra fraude quand un tribunal précisera la définition ou les modalités du CIR.
Avec l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, les lois, décrets et autres circulaires supposés lutter contre la fraude se sont multipliés. Parfois dissimulés sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme, ils interdisent par exemple de payer en liquide toute dépense supérieure à 1 000 euros. Et exigent que tout souscripteur à un contrat d’assurance-vie indique la provenance des sommes investies, incitent les agents immobiliers, banquiers, notaires et autres experts-comptables à avertir de leurs soupçons les agents de Tracfin, dépendant de Bercy, etc. Sous Macron, une police fiscale a même été créée, dotée quasiment des mêmes pouvoirs que la douane judiciaire.
Haha… À part lutter contre la fraude fiscale et surtout le blanchiment d'argent sur de l'argent de poche (donc des montants riquiqui), je ne vois pas trop l'intérêt de la limite à 1 000 €. De même, exiger des personnes qui sont rémunérées pour concevoir, valider et héberger les fraudes de cafarder est une garantie de succès, à n'en point douter.
Quel est le bilan de la mise en place d’un tel arsenal ? Personne ne s’en est encore préoccupé : les parlementaires votent sans trop traîner les pieds des textes de plus en plus répressifs mais se gardent bien de tenter d’évaluer l’ampleur des phénomènes constatés. Il y a six mois, comme le rappellent « Les Echos » (18/4), le ministre du Budget, Gérald Darmanin, avait annoncé la création d’un observatoire de la fraude et de l’évasion. Mais il n’est toujours pas né. Aux dernières nouvelles, Macron devrait, lors de sa conférence de presse, en relancer l’idée. Cependant, comme le souligne un haut fonctionnaire des impôts, « cela s’annonce comme un exercice impossible. L’OCDE, qui s’y est risquée pour l’optimisation fiscale, a fait un travail d’une grande rigueur pendant des mois et a seulement pu conclure que, dans les Etats les plus développés (36 pays, au total), elle se situait entre 85 et 205 milliards d’euros ».
Comme quoi, il y a des fois où l’absence de précision est plus scientifique que la précision elle-même…
Dans le Canard enchaîné du 24 avril 2019.