Les fonds de la formation professionnelle profitent bien aux syndicats.
Sur son bureau, la procureure de Bobigny a, depuis la semaine dernière, un rapport des plus troublants sur les fonds de formation professionnelle destinés aux saisonniers agricoles mais profitant à d’autres… Accompagné de documents comptables, il a été transmis à la magistrate par d’anciens dirigeants de la fédération CGT de l’agroalimentaire.
Chaque année, ils sont environ 700 000 à passer des guignes aux asperges, puis des asperges à la vigne. Contrainte de gagner leur année de salaire en quelques mois, ils ne rechignent pas à la tâche. Mais, en face aussi, les efforts sont remarquables. Il y a seize ans, en juillet 2002, un accord, signé par le vice-président de la FNSEA et par cinq fédérations syndicales rattachées aux confédérations, avait accouché d’un astucieux système, permettant d’éviter de payer les heures supplémentaires au tarif légal. Son nom ? Le « contrat à durée déterminée intégrant un droit à la formation ». Concrètement, selon cet accord, « le paiement des bonifications et majorations pour les heures supplémentaires effectuées [était] remplacé par un droit pour le salarié à bénéficier d’une action de formation ».
Magot en formation
Contrairement aux heures sup, cette formation ne coûte pas un radis aux agriculteurs employant des saisonniers, car elle est financée par des fonds mutualisés. Par ailleurs, elle n’est accordée qu’après la fin du CDD, c’est-à-dire à Pâques ou à la Trinité.
Cet accord est tout bénef pour les employeurs, mais pas seulement. Une association à but non lucratif domiciliée au siège de la FNSEA, Provea, a été créée, financée par une cotisation obligatoire de 0,2 % sur la masse salariale : un pactole pas perdu pour tout le monde…
En principe, Provea doit examiner les « résultats des travaux, études et réflexions » réalisés par chacun des bénéficiaires dans le domaine de l’emploi : soit, en quinze ans, un colloque en 2010 et un autre en 2018 — pas vraiment harassant. En réalité, sa tâche principale consiste à répartir le blé engrangé grâce au 0,2 % de cotisation, soit 14,7 millions d’euros par an.
Unique syndicat patronal reconnu en agriculture, la FNSEA s’embourbe plus de 8 millions par an. La Confédération paysanne et la Coordination rurale, elles, ne touchent pas un centime. Côté syndicats, la fédération de l’agriculture CGT empoche le gros lot, avec 1,1 million par an. Un peu plus que la CFDT, donc, et beaucoup plus que FO, la CFE-CGC et la CFTC. Un magnifique robinet financier, dénoncé par le responsable juridique de la Confédération paysanne : « C’est une pompe à fric. Il n’y a aucun doute là:-dessus. » Tout de suite des mots crus…
Le blé en verbe
A cette curiosité se mêle une autre, logée dans les comptes de la fédération CGT : quand la comptabilité de Provea indique que 1 million lui a été versé en 2015, le compte de résultat, soumis puis voté par le congrès de la fédé, ne mentionne « que » 453 000 euros. C’était pire lors des années précédentes, où les comptes de résultat de la fédération font apparaître moins du tiers des sommes reçues. Pourtant, les livres de comptes de Provea montrent bien que les chèques ont été encaissés. Où est passée la différence ?
Freddy Hucks, qui, il y a quatre ans, a officiellement laissé le poste de secrétaire général de la fédé à son fils (même s’il continue de tenir les commandes d’une main de fer), a du mal a dissimuler son embarras. Il avance tout de même une explication : « Nous avons créé un institut [d’études] qui a une personnalité propre, l’Iresa », précise-t-il, tout en rappelant que « Provea, qui est un organisme paritaire, verse les sommes à la fédération, qui les dispatche ». Le hic, c’est que le compte de résultat de cette dernière ne fait apparaître aucun versement à l’Iresa. Tout au plus Freddy Huck annonce-t-il que la comptabilité a été mise en ordre pour 2017.
Et l’autre demi-million est consigné dans la compta ? « Le propre de cet accord est de donner des moyens aux organisations syndicales pour qu’elles mènent leurs multiples activités », assure Huck. Parmi elles, l’octroi de cotisations gratuites à quelques milliers d’adhérents.
Ce n’est pas un emploi judicieux des « moyens », ça ?
Dans le Canard enchaîné du 11 juillet 2018.