L’éruptif Premier ministre hongrois est à deux doigts d'être viré du PPE par les conservateurs européens pour ses excès de langage, mais rien n’est joué.
Vilain garçon, sors d’ici, nous n’avons plus les mêmes valeurs, trop c’est trop, cette fois-ci, tu prends la porte. Ça y est, le puissant Parti populaire européen (PPE), regroupement des partis conservateurs d’Europe qui fait la loi à Bruxelles, est bien décidé à faire le ménage dans ses rangs. Viktor Orban, le Premier ministre de Hongrie, aurait donc franchila ligne rouge. Non content d’avoir mis les médias du pays sous contrôle, d’être modérément démocrate, de vouloir faire de la Hongrie une société bigote prônant un attachement fétichiste à la patrie et à la famille, d’avoir tenu à l’égard de George Soros des propos d’un antisémitisme soralien en 2018, le voilà qui s’attaque à Jean—Claude Juncker. Une af— fiche placardée sur tous les murs de Budapest le montre ricanant, le milliardaire George Soros à ses côtés. « Vous avez le droit de savoir ce que l’Europe prépare », dit le texte. Comprendre : le grand remplacement, la subversion migratoire.
Il est parfait, Viktor Orban, avec sa dégaine de méchant de série B, pour un PPE soucieux de se refaire une virginité. Voilà presque dix ans qu’Orban est revenu au pouvoir et accumule provocations et dérives en tous genres. En septembre 2018, une partie du PPE avait déjà voté en faveur de l’application de l’article 7 (sanction d’un Etat membre pour cause de violation de l’Etat de droit). Une façon de se donner bonne conscience pour pas cher : il n’y avait aucune chance pour que la procédure aboutisse. Elle requiert l’unanimité des Etats membres, et la Pologne avait annoncé qu’elle voterait contre.
L’essentiel, c’était de montrer que le parti restait « humaniste » et attaché aux valeurs chrétiennes. Manfred Weber, l’un des poids lourds allemands du PPE, qui vise ouvertement la présidence de la Commission, avait déjà donné de la voix, pour un homme de convictions comme moi, ça ne peut plus durer. Et on en était resté là.
Hongrois rêver
Les anti-Orban du PPE ont les yeux braqués sur la prochaine assemblée politique du parti, programmée le 20 mars. Ils seront tous là : Merkel, Juncker, lui-même membre du PPE, et le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk. « L’affaire est loin d’être réglée. Le PPE est constitué de 80 partis. C’est l’aile démocrate-chrétienne la plus modérée, composée des petits partis de Finlande, de Belgique, de Suède, de Norvège, etc., qui demande l’exclusion. Aucun grand parti conservateur ne l’a demandée : ni Les Républicains, ni la CDU allemande, ni Forza Italia, ni le PP espagnol. Et il ne faut pas oublier l’affaiblissement de Merkel, qui a besoin des voix de son allié ultra-conservateur, la CSU. Et la CSU est très proche d’Orban… Bref, sur le papier, c’est assez mal barré », raconte un eurodéputé du PPE.
Orbân va pouvoir garder son petit sourire en coin : ses « amis » du PPE, il les tient par la barbichette. « Le PPE a le pouvoir en Europe. Ils tiennent la Commission, la présidence du Parlement et les principaux postes de pouvoir. Orban a un argument en or massif : il va gagner les élections dans son pays et aura beaucoup de députés. Or tous les sondages indiquent que beaucoup d’autres partis conservateurs vont clairement s’affaiblir. LR aura nettement moins de députés que la dernière fois, Forza Italia perd sans cesse des points face à la Ligue de Salvini. Les voix des députés hongrois vont peser lourd pour la présidence de la Commission, convoitée par la CDU ! » rigole un fonctionnaire européen.
Bal des faux-culs
Orban a déjà commencé son petit chantage. Faudrait pas s’aviser de trop m’humilier, parce que je pourrais former un groupe avec les eurosceptiques. Les Polonais du PIS et les Italiens de la Ligue sont partants. « Le groupe pourrait très bien constituer une minorité de blocage dans un Parlement qui s’annonce très émietté, ce dont le PPE ne veut à aucun prix. » Voilà qui incite à concilier fermeté et indulgence.
D’autant que la Hongrie se montre conciliante sur la défense européenne, en achetant des hélicoptères Caracal (Airbus), des blindés KMW (franco-allemand). Pour la réforme de la PAC, Budapest est un allié de Paris. « Sur des sujets clés, Orban n’est plus minoritaire, arrêtons de jouer les faux culs. Sur l’immigration, sa position est validée officieusement par beaucoup de dirigeants européens. Nathalie Loiseau a reconnu, dimanche matin, que le système des quotas avait été une erreur. Quant à Schengen, Orban et Macron ont désormais des positions très proches », analyse un ancien ministre des affaires étrangères.
Manfred Weber va se rendre à Budapest pour une énième réunion de discussion. Il a le visage grave, la mine sévère et l’air décidé. Orban doit claquer des dents.
Dans le Canard enchaîné du 13 mars 2019.