Tous les journaux l’ont écrit, les radios et télés l’ont annoncé, les réseaux sociaux en frémissent encore : une loi destinée à lutter contre les fake news va entrer en vigueur. En même temps, « vigueur » est peut-être un bien grand mot. Pas un ténor de la politique ne s’est risqué à saluer cette naissance. Pas un juriste de renom, pas un professeur de droit, pas une association de journalistes. Les commentateurs les plus aimables ont observé que ce texte ne servirait à rien.
D’autres, moins optimistes, craignent des effets pervers : un petit coup de canif dans la liberté d’expression, la création d’un label de vérité d’Etat, ou encore, plus amusant, un résultat à l’exact opposé du but poursuivi. Une information estampillée de « faux officiel » s’en trouvera valorisée, et ne manquera pas d’exciter la curiosité.
En apparence simple initiative parlementaire, le texte d’origine a été déposé par le groupe LRM de l’Assemblée. En réalité, il venait tout droit de l’Elysée. Traumatisé par la circulation d’informations malveillantes pendant sa campagne, et par l’expérience funeste de Hillary Clinton, Macron tenait absolument à cette loi. Difficile, d’ailleurs, de soutenir que la flambée virale, sur le Net, d’imputations diffamatoires ne mérite pas une réponse. Mais l’idée d’une procédure judiciaire, ultrarapide en période électorale, pour ordonner le retrait d’une information a été presque unanimement saluée comme vraisemblablement inapplicable, peut-être dangereuse, et sûrement inefficace. Sur cette base solide, le texte a poursuivi son bonhomme de chemin.
Mascarade mondaine
La commission des Lois a entendu par dizaines des juristes, des avocats, des experts divers, des journalistes, des informaticiens. Ils ont été écoutés poliment : tous ou presque ont soutenu que la démarche n’était pas la bonne. Au terme de cette mascarade mondaine, les disciplinés députés n’ont tenu aucun compte des avis qu’ils avaient sollicités. Egalement consulté, le Conseil d’Etat, dans les termes choisis qui font son charme, a observé que « le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant en substance à lutter contre la diffusion de fausses nouvelles ». Et de noter que rapporter devant un juge la preuve de la fausseté d’une information ne sera pas une promenade de santé. Au total, selon le Conseil, « la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, risque d’intervenir trop tard (…), voire à contretemps ».
Et c’est ainsi, au bout du chemin de croix, que ce chef-d’œuvre législatif, conspué de tous bords, a été triomphalement adopté à l’Assemblée grâce aux seules voix des macronistes. Il est probable que ce texte ne fera pas trop de mal. Il ne fera même rien du tout. Sauf nous rappeler la forte maxime de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
ÉDIT DU 24/06/2018 À 11H12 : la proposition de loi n'a pas été définitivement adopté le 7 juin. Déjà car il n'y a que l'Assemblée nationale qui l'a étudié, ensuite parce que les créneaux impartis dans l'agenda parlementaire ont été dépassé. L'étude de ce texte par l'Assemblée continuera le 3 juillet et les jours suivants. Puis par le Sénat a une date inconnue. FIN DE L'ÉDIT DU 24/06/2018 À 11H12.
Que c'est beau, la soi-disant démocratie : tout le monde est contre ? D'accord, faisons ça !
Que c'est beau, le corporatisme de la presse. Les journalistes, même ceux et celles des journaux que j'apprécie comme le Canard, sont toujours prompts à nous exposer en détail en quoi les lois qui visent leur profession sont malsaines. Dommage qu'il⋅elle⋅s ne fassent pas de même avec les autres lois…
Dans le Canard enchaîné du 13 juin 2018.