« Grande priorité nationale », la lutte contre la fraude fiscale n’est pas une grande priorité budgétaire. La preuve avec les chiffres de la section financière du parquet de Paris, sur lesquels « Le Canard » a posé sa palme. En 2012, 12 enquêteurs planchaient sur 267 saisines, et il leur restait 148 dossiers à écluser en fin d’année. En 2016, l’effectif était réduit à 6 enquêteurs, pour 239 dossiers à Noël. Le pompon ? En 2018, seuls 8 malheureux enquêteurs s’escrimaient, et 468 dossiers bourraient les placards à la Saint-Sylvestre !
Avec ces maigres troupes, la section financière de Paris ne parvient à traiter que 50 dossiers par an : c’est ce qu’a déclaré, l’an dernier, François Molins, ancien proc de Paris, à l’Assemblée nationale.
A ce rythme, des années seront nécessaires pour écluser le stock qui augmente… « Nous traitons des dossiers portant sur des faits commis en 2009-2010, se désespère un magistrat, et il faut environ dix-huit mois d’attente pour qu’ils passent à l’audience. » Ils risquent d’y arriver en 2021…
Hum… Est-ce en partie pour cela que les délais avant prescription en matière de fraude financière (entre autres) ont été augmentés en 2017 ?
Dossiers a la peine
De guerre lasse, et histoire d’accélérer la cadence, Rémy Heitz, le procureur de Paris, va orienter les fraudeurs vers la procédure du « plaider-coupable » (où la peine est négociée), désormais permise pour les délits financiers. Cela ne créera toutefois pas de postes d’enquêteur. La pénurie d’effectifs est dénoncée par la plupart des procureurs généraux dans leurs rapports.
Il faut croire que l'air du temps privilégie l'illusion de la justice (plaider-coupable) à la justice… C'est bien triste…
« Ça date de Sarkozy, observe un haut magistrat. Avec son obsession de “remettre la police sur le terrain”, plein d’officiers de police judiciaire ont été affectés dans des commissariats. » Dans son rapport du 12 décembre dernier, la Cour des comptes juge le ministère de l’Intérieur « fortement mobilisé par d’autres priorités, telles que le terrorisme et l’immigration irrégulière ».
Certes, Beauvau a assuré à la Cour que « la délinquance économique et financière [allait] redevenir l’une de ses priorités ». Mais la vue de malheureux trimant sur de trop vieilles affaires de délinquance fiscale n’attire guère les candidats, flics ou procs. « On dirait que tout le monde s’en fout », se plaint un juge. Quelle idée ! Bercy n’a-t-il pas, cette année, créé une police fiscale ? Elle s’ajoutera à tous les services déjà dédiés à cette grande cause sans — espère-t-on — dégarnir leurs effectifs…
Dans le Canard enchaîné du 20 mars 2019.