Tribunal de Paris
Chaudronnier, couvreur, ingénieur, charpentier, bûcheron, cuisinier, agent de sécurité, ils viennent du Jura, de la Marne, de l’Essonne, de Reims, de Strasbourg. A part l’ingénieur, qui gagne le triple, ils vivent avec moins de 1 200 euros par mois. Et, dans le box, ils font les comptes : « 450 euros de loyer, 200 euros de crédits, et des retards de paiement, alors les taxes en plus… » Tous arrêtés le 1er décembre à Paris et jugés après trois jours de garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences », porteurs d’« un attirail » — masque à gaz, lunettes de piscine ou casque. L’un avait « trois cailloux », l’autre « deux embouts de tringle ».
Celui-ci, très imbibé, a collé un coup de pied dans une vitrine, qui, déjà pétée, s’est écroulée. Celui-là, accusé du vol d’un engin de chantier, l’a en réalité stoppé, alors qu’il filait dangereusement en tous sens, abandonné par « des casseurs ». Le cuisinier a raflé deux pièces de la Monnaie de Paris à 2 euros, par terre, dans l’Arc de triomphe dévasté, et comparaît pour « recel de vol », comme le charpentier, trouvé avec cinq bouteilles d’alcool près d’un magasin pillé. Aucun ne connaissait Paris « J’étais près de la Tuilerie, je crois », « J’étais perdu », « Je cherchais à me barrer du chaos, mais je savais pas où aller ».
Tous jeunes et morts de trouille, au bord des larmes. « Ces trois jours de garde à vue… jamais je n’aurais cru ça possible dans mon pays. Il y avait la gale et des gens qui se grattaient leurs boutons. » Tous ont des choses à dire. Le Rémois : « La France, je l’aime énormément, on a des belles valeurs, mais je pense qu’elles ne sont plus respectées, alors je suis venu, pour qu’on soit beaucoup… » Le gars du Jura: « On avait participé aux manifs chez nous, mais personne ne nous a répondu, on nous a ignorés, alors on est venus à Paris, près des gens de pouvoir ! » L’ingénieur : « Macron, il parle dans le vide, ne tient pas ses promesses, et on n’est pas écoutés. Mais, malheureusement, à Paris, c’était comme la guerre ! » Le bûcheron : « Quand on voit M. Macron qui touche aux retraites comme ça, c’est grave ! Alors on est venus apporter notre aide, même si c’est qu’une goutte d’eau, comme l’histoire du colibri qui essaie d’éteindre un incendie avec des gouttes d’eau ! » L’agent de sécurité : « Je suis pas violent, juste solidaire… Ben oui, pour les taxes, les hausses. Tout le monde criait : “Ramassez les cailloux !” J’ai ramassé mais pas lancé, j’ai même pas eu le réflexe de les jeter quand la police m’a arrêté… » Tous condamnés à des peines mêlant sursis et ferme à aménager. Donc libérés. Tous interdits de séjour à Paris pendant un an. « Je ne veux plus jamais y mettre les pieds… » avait déclaré le chaudronnier.
Dans le Canard enchaîné du 12 décembre 2018.