Le nouveau président de la Tunisie depuis septembre 2019 est un conservateur. Lors du Printemps arabe, les Tunisiens n'ont pas divorcé de leur culte, donc, la libération de la parole qui a suivi a permis l'expression des idées religieuses les plus extrêmes et l'expansion de la religion au sein de la démocratie. Coup raté ? Trop tôt pour l'affirmer.
(critique du livre Dommage, Tunisie écrit par Hélé Béji (Gallimard))
L'élection présidentielle tunisienne du 15 septembre a porté au pouvoir le très conservateur Kaïs Saïed. Ecrit avant cette date, ce court essai avait vu juste : la révolution est en effet glacée. Professeure de littérature, écrivaine, Hélé Béji fait un bilan désenchanté de l’après-Ben Ali : « En 2011, les Tunisiens n’ont pas divorcé de leur culte ni de leur foi, comme les Français en 1789. » Immense était pourtant l’espoir. Et la surprise :« Comment un peuple paisible et douillet, plus doué pour la vie de quartier que pour les idées de gloire, a-t-il pu accomplir la première révolution du XXIe siècle ? » Bourguiba, « voltairien », « despote éclairé » — eh oui ! —, avait préparé le terrain « en séparant la politique de la religion ». Résultat : à la faveur d’élections libres, les islamistes d’Ennahdha sont une force majeure de la politique tunisienne.
Amer constat : « En libérant la parole, la Révolution a ouvert les écluses du torrent idéologique religieux et de ses extrémismes (…). Voilà donc ce qui n’était pas prévu : l’expansion du religieux au cœur de la démocratie (…). Nul ne sait encore si la démocratie parviendra à séculariser la religion ou si la religion, au contraire, ne va pas se servir de la démocratie pour y forger sa domination. » Désemparée, Hélé Béji attend le prochain épisode (« Maintenant nous sommes face à ce que nous avons engendré : les élites avec leur suffisance, le peuple avec ses idolâtries. »). Les optimistes doivent-ils prendre le maquis ?
Dans le Canard enchaîné du 6 novembre 2019.