La participation des femmes à la Révolution de 1789. Elles occupent l'espace public, écoutent les discours y compris à la Convention, s'abonnent à des journaux, créent des clubs, etc. Le 5 et 6 octobre 1789, elles se mettent en route pour Versailles afin de réclamer le ravitaillement de Paris en nourriture. Le roi se résigne à contre-attaquer. Une émeute naît d'une dispute entre gardes et les femmes entrent dans le palais. Cela s'ajoutant aux autres événements, le roi signe la déclaration des droits de l'Homme et quitte Versailles. Les femmes obtiennent, entre autres, le droit de rédiger un testament, le partage de l'autorité sur les enfants, le droit d'agir en justice, le partage des biens et de la gestion du ménage. En revanche, aucun droit politique. Devenues des rivales, elles effraient la Convention. La participation à un acte violent au sein de la Convention sera le prétexte pour leur interdire toute activité politique. Le Code civil de Bonaparte les privent de droits juridiques (comme les mineurs et les débiles mentaux), leur retire toute gestion des biens et leur impose une obéissance à leur mari.
Il y a 230 ans, la femme a failli devenir (presque) légale de l’homme. Raté !
Christine Le Bozec, historienne et spécialiste de la Révolution française, raconte ces années de combat, de 1789 à 1793, qui ont permis aux femmes d’obtenir des droits. Un espoir stoppé net par les hommes de la Convention et brisé par Bonaparte, qui renvoie les femmes au statut d’éternelles mineures.
Être une femme, en 1789. c‘était comment ?
C’était un être qui n’avait rien, aucun droit civil ni politique. Le divorce n’existait pas, tout était pour le mari, le père, le frère et le fils. Seules les veuves avaient un petit quelque chose. Si leur mari avait été imprimeur ou libraire, elles pouvaient prendre la tête de l’entreprise. Les veuves de seigneurs pouvaient voter mais laissaient ce droit à leur fils ou à leur gendre**. Les hommes les tenaient pour des êtres sans importance.Tous ?
Certes, il y a Condorcet qui, bien avant la Révolution, était favorable au droit de vote des femmes. Certes, il y a Poullain de La Barre qui, au milieu du XVIIe siècle, affirme cette chose extraordinaire à laquelle Simone de Beauvoir n’aurait rien eu à redire : « On ne naît pas femme, on le devient » Mais ce sont des exceptions qui confirment la règle : les hommes tiennent les femmes — même celles qui les reçoivent dans leurs salons mondains —, dans un mépris inouï. Rousseau écrit dans Émile ou De l’éducation paru en 1762 : « il est dans l’ordre de la nature que la femme obéisse à l’homme, la dépendance étant un état naturel aux femmes, les filles sont faites pour obéir. »Comment s‘engagent-elles concrètement dans la Révolution ?
Les émeutes féminines motivées par la faim ou l’injustice fiscale existaient bien avant la Révolution. Il n’était donc pas nouveau que les femmes se fassent entendre, et souvent de façon violente. La nouveauté, c’est qu’aux revendications frumentaires vont s’ajouter des revendications politiques, sociales, fiscales. Elles descendent dans la rue, écoutent les discours, vont à la Convention, s’abonnent à plusieurs journaux, se réunissent dans les cabarets, créent des clubs féminins comme celui, en 1792, des Citoyennes républicaines révolutionnaires. Elles sont très actives. Entraînées par une poignée de femmes — trois cents, pas plus — qui sera le fer de lance du mouvement féminin, ce sont elles qui vont chercher le roi. Parties de Paris, elles seront des milliers en arrivant à Versailles. Là, pendant deux jours, elles s’opposeront à la garde, ficheront un bazar pas possible, réussiront à entrer dans le château et à ramener Louis XVI aux Tuileries, où il restera jusqu’à son exécution. Des 5 et 6 octobre 1789 date la grande entrée des femmes dans la Révolution.Qui sont-elles ?
On parle toujours des quatre célèbres — Mme Rolland, Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt et Charlotte Corday —, mais elles n’ont joué un rôle qu’à la marge. Celles qui se sont vraiment engagées sur le terrain, ce sont les femmes du peuple dont l’histoire n’a pas retenu les noms. Des artisanes qui exercent des métiers très qualifiés, sous-payées évidement, ce qui n’a guère changé d’ailleurs : plumassières, gazières, dentellières, pousseuses, lavandières, vendeuses de savon, colporteuses… À l’époque, qu’elles soient à la campagne — où vivent 85 % des 26 millions d’habitants —— ou à la ville, la majorité des femmes travaille et vit chichement.Quels droits ont-elles obtenus ?
L’égalité dans le partage des biens et dans la gestion des biens du ménage, le droit de rédiger un testament, le partage de l’autorité sur les enfants, le divorce, la reconnaissance des enfants illégifimes, le droit pour ces enfants d‘hériter de leur père, la reconnaissance d’aller en justice. Mais elles n’obtiennent aucun droit politique.Pourquoi ce combat s‘est-il arrêté en 1793 ?
Au départ, les hommes ont bien toléré leur action, mais ils s’inquiètent de plus en plus. Les femmes sont devenues des rivales économiques et politiques. Quand elles demandent à porter le bonnet phrygien et la cocarde, les hommes de la Convention se disent que cela suffit. Début novembre 1793, ils décident qu’elles n’auront plus le droit d’aller dans les clubs. Reviennent les poncifs qui ont favorisé des siècles d’aliénafion féminine : hystérie, frivolité et déraison. On les traite d’enragées, de folles, de dangereuses. Ils disent : « Regardez le mal que fait leur éducation », « Voyez Charlotte Corday qui lisait Plutarque et qui est allée assassiner Marat » Les femmes continuent à se battre pendant un an et demi. Le 1er prairial de l’an III [20 mai 1795], elles font partie d’un groupe qui envahit la Convention pour réclamer, entre autres, du pain. Les députés s’enfuient, l’un d’eux est tué. On découpe sa tête. C’est une femme qui la brandit vers le président de l’Assemblée. Quelques heures plus tard, la garde fera évacuer l’hémicycie. C’est la fin. La Convention leur interdit toute activité politique et décrète qu’elles n’ont plus le droit d’être dans la rue.Elles ont tout perdu ?
Elles conservent leurs droits acquis sous la Révolution, jusqu’en 1804 seulement. Là, un certain Bonaparte, très fier de son Code civil, rogne peu à peu les droits de la femme pour en faire une éternelle mineure, ce qu’entérine et renforce la Restauration en 1816. Un grand espoir est né sous la Révolution ; ce grand espoir s’est écroulé. Les revendications de 1789, comme l’égalité des salaires, perdurent. Depuis 230 ans.
Dans le numéro 5 (octobre 2019) de Siné Madame.