Un premier lot est en fabrication. Selon un document du Pentagone, ces armes permettent au Président de mener une guerre nucléaire limitée, au risque d'y entraîner ses alliés…
Le 5 févirer à Washington, le ministère de l’Energie a annoncé la mise en fabrication d’une première tranche de 30 bombes nucléaires « miniaturisées ». Ces petites merveilles de technologie mortitère, disponibles au plus tard dans deux ans, seront d’une puissance nettement inférieure à la bombe lancée en 1945 sur Hiroshima (environ 15 kilotonnes). Elles ne provoqueront jamais autant de destructions que les missiles de 150 à 475 kilotonnes dont disposent les armées américaines, mais, que l’on se rassure, elles auront des effets « incendiaires et radioactifs » remarquables, selon un expert militaire.
Le Pentagone, le Département d’Etat et le ministère de l’Energie (responsable de la mise au point des armes nucléaires) avaient été chargés par Donald Trump, le 27 janvier 2017, de définir la nouvelle stratégie nucléaire des Etats-Unis, afin d’enterrer celle qui avait cours sous Barack Obama. Un an plus tard, un document de 54 pages — « Nuclear Posture Review » — était prêt, grâce à deux amoureux de l’uranium enrichi : Robert Soofer, secrétaire adjoint à la Défense pour l’armement nucléaire, et Greg Weaver, directeur adjoint des questions stratégiques à l’état-major. Mais seule une version « expurgée » d’une quinzaine de pages de ces gamberges a été rendue publique par le Pentagone, le 2 février.
La décision la plus importante concerne la fabrication de charges dites « de faible énergie », c’est-à-dire de ces bombes nucléaires miniaturisées, plus aisément utilisables — humainement parlant ? — que les missiles de l’arsenal américain, capables d’atomiser totalement un Etat adverse… Pourquoi Donald Trump désire-t-il disposer d’une telle arme, pouvant être lancée depuis un avion, équiper un missile de croisière ou un missile installé à bord d’un sous-marin ? Il veut pouvoir tirer le premier et donner une méchante leçon à un présumé ennemi, tels la Corée du Nord ou l’Iran, si l’envie lui en prend. Le président américain aurait ainsi la possibilité de mener un conflit nucléaire limité, ce qui est une remise en question des principes de la dissuasion. Au risque d’entraîner ses alliés, dont la France, dans une guerre qu’il serait seul à déclencher. On espère bientôt apprendre ce que Macron pense de ce nouveau délire de Donald Trump…
D’autres décisions sont mentionnées par ce document du Pentagone : installer, dans des silos enterrés ou sur des camions, 450 nouveaux missiles sol-sol intercontinentaux, lancer la production de nouveaux bombardiers stratégiques et fournir au F-35, le dernier-né de l’aviation US, la possibilité de lancer ces nouvelles armes nucléaires, y compris depuis le territoire de pays alliés.
Alertes au feu
Evaluation de toutes ces améliorations d’un arsenal déjà bien pourvu : 1 200 milliards de dollars en trente ans. Mais, quand on adore faire peur à la Russie, à la Chine, à l’Iran et à la Corée du Nord, on ne compte pas,
Le général Paul Selva, adjoint du chef d'état-major interarmées, a, peut— ôtrc sans le vouloir, évoqué, le 27 janvier, les moments où Donald Trump pourrait être incité à balancer l’une de ces petites bombes : « Nous analysons les attaques stratégiques non nucléaires de nos adversaires, celles qui (…) provoqueraient des milliers de morts dans nos villes. » Et Patrick Shanahan, le secrétaire adjoint à la Défense, s’est montré davantage explicite, le 2 février, en présentant aux journalistes le document du Pentagone : « Etant donné le changement radical de l’environnement international (…), les Etats—Unis considéreront l’emploi de leurs armes nucléaires dans des circonstances extrêmes, pour défendre les intérêts de notre pays, de nos alliés et de nos partenaires. »
A Paris, cette révision « à la Trump » de la doctrine militaire américaine et cette conception d’une première frappe ne devraient pas faire un triomphe. D‘autant que, en réaction, la Russie et la Chine pourraient décider de se doter des mêmes armes. Et un vieux routier de la diplomatie s’insurge déjà contre « cette volonté de modifier l’équilibre international, baptisé jadis “équilibre de la terreur”, qui, pendant plusieurs décennies, a tout de même permis d’en finir avec la guerre froide ».
Mais voilà qu’avec Trump on y retourne allègrement.
Dans le Canard enchaîné du 7 février 2018.