Il pourrait accueillir la tour Eiffel dans ses cales ! 400 mètres de longueur ! Une hélice de 100 tonnes ! La capacité de transporter pas moins de 20 000 conteneurs ! Le plus gros porte-conteneurs français ! L’un des plus gros du monde ! Fabriqué à Singapour !
Le « symbole de notre ambition économique : avoir une France compétitive et conquérante, capable d’exporter aux quatre coins du monde », a triomphé Bruno Le Maire, jeudi 6 septembre, en balançant une bouteille de champagne sur sa coque. Un joli nom qui fait rêver : le « Saint-Exupéry ». Le Petit Prince aurait adoré !
Notre ambition économique : faire fabriquer notre étendard de cette ambition à l'étranger. :')
Et Hulot aussi, qui, une semaine auparavant, en annonçant sa démission, disait de cette « superbe performance technologique » : « Est-ce bon pour la planète ? La réponse est non. »
Détrompe-toi, Nicolas. Ce navire va « respecter l’environnement ». Il va même « préserver les océans et la biodiversité ». Son armateur, CMA CGM, l’affirme : en passant de 10 000 à 20 000 conteneurs, on divise par deux la consommation de combustible, non ? Certes, cela va permettre d’exporter — et d’importer — de plus en plus, mais passons. Le « Saint-Ex » dispose de moteurs d’un nouveau type, qui lui permettront « une baisse de 3 % des émissions de CO 2, en moyenne » : admirable ! Et « une réduction significative de la consommation d’huile : -25 % » : génial ! Seulement 1 litre de carburant par conteneur et par centaine de kilomètres parcourus : épatant ! Certes, ça fait quand même 8 000 tonnes de combustible pour un simple aller-retour Le Havre-Shanghai. Qu’importe… En prime, il a une double coque : en cas d’accident, aucune marée noire à craindre ! Et les eaux de ballast seront traitées par filtre et lampes UV pour éviter un fléau bien connu, le transport massif d’espèces invasives d’un port à l’autre, comme l’arpenteuse de l’orme, l’escargot géant africain, les fourmis d’Argentine, la punaise marbrée… Malin !
Bon, les esprits chagrins expliqueront que cette course au gigantisme reste affreusement polluante et énergivore, et ne fait qu’accélérer la délocalisation de nos industries vers la Chine, où l’on achète déjà tout, de nos fringues à nos équipements high-tech en passant par nos, pierres tombales… Par—dessus bord, les esprits chagrins !
Tristesse…
Dans le Canard enchaîné du 12 septembre 2018.