Emmanuel Macron a tonné : plus de « fake news » en période électorale. Que les complotistes, donc, se rassurent : hors élections, ils pourront continuer de colporter des rumeurs, de désinformer, d’entretenir la parano « On nous cache tout, on nous dit rien ».
Le Président ne s’intéresse pas à la fausse nouvelle à la française, déjà punie par la loi de 1881 — qui a fait ses preuves — s’il y a trouble à l’ordre public, mais à la « fake news » à la Trump, celle venue de l’étranger.
Macron, autocentré, a en tête les ragots qu’ont fait courir sur sa personne au printemps dernier deux médias russes. Il promet, en représailles, que la lutte contre « toute tentative de déstabilisation par les services de télévision contrôlés ou influencés par des Etats étrangers » sera accrue. Les Russes doivent craindre le pire, et la BBC, à l’avenir, devra se méfier si elle prétend s’intéresser à la politique française.
Macron vise aussi les plateformes Internet et leur « propagande », qui, « en un instant, répandent partout dans le monde, dans toutes les langues, des bobards inventés pour salir un responsable politique ». Pourquoi pas, mais comment la distinguer de l’information quand les annonceurs eux-mêmes sont des propriétaires de médias, comme Bernard Arnault, Xavier Niel ou Patrick Drahi ? Macron ne s’inquiète pas de ça. La concentration aux mains de quelques industriels, la disparition des journaux indépendants ce n’est pas son sujet. Il n’en a que pour la « fake news » des jours d’avant son sacre. C’est quoi, d’ailleurs, une fausse nouvelle, et qui en décide quand François fillon assure que les informations du « Canard » sur les emplois fictifs de son épouse sont fausses ? Ce qui est annoncé faux par certains peut se révéler vrai…
Sur sa lancée, Macron appelle les professionnels à réfléchir à leur déontologie. Comme si les journalistes l’avaient attendu… Il est vrai que Reporters sans frontières a une riche idée : il propose de certifier des organes de presse respectant la déontologie du métier. Problème: qui va certifier le certificateur ? L’ancien président de RSF, un certain Robert Ménard, maire lepéniste de Béziers ? Ou, pourquoi pas, le président de la République lui-même ?
En peu de mots, le Canard résume l'essentiel de mon avis sur cette volonté stupide de Macron.
Cependant, il manque un point : derrière tout ça se cache la constante augmentation de la défiance envers tout et tout le monde. Justifiée quand on constate, fait après fait, événement après événement, que les politicien⋅ne⋅s et les grands médias sont uniquement des pantins qui nous servent jours après jours la même soupe insipide et qui œuvrent rarement en faveur de l'intérêt général. Justifiée quand nos grands médias, nos élu⋅e⋅s et nos politicien⋅ne⋅s de premier plan passent leur temps à faire peur à la populace et à monter des parties de la population contre d'autres parties de cette même population afin d'accroître la servitude de l'ensemble donc, in fine, leur pouvoir.
Plutôt que de se poser et de proposer des solutions réfléchies aux racines de ce mal profond, nos politicien⋅ne⋅s décident de jouer la surenchère, de poursuivre ce jeu dangereux, de faire toujours moins confiance à leurs citoyen⋅ne⋅s et proposent ainsi de leur torcher le cul, au prétexte qu'il⋅elle⋅s sont incapables de penser par eux⋅elles-même. Ben ouais, réfléchir à l'indépendance des médias, à leur pluralité effective et à tout un tas d'autres problématiques, c'est trop vieux jeux ! Sauf que, si, en tant que citoyen⋅ne, je ne développe plus de pensées et/ou que je n'en suis plus responsable, cela vaut aussi pour mes votes. Or, sans pensée libre et sans vote, il n'y a plus de légitimité des élu⋅e⋅s donc le semblant de démocratie représentative que nous connaissons s'effondre et l'on atterrit sur des régimes d'organisation de la vie de la cité beaucoup moins fun.
Sait-il dans quoi il veut nous embarquer, le Macron ? Savent-il⋅elle⋅s dans quoi il⋅elle⋅s veulent nous embarquer, ces politicien⋅ne⋅s à la manque ? Savons-nous dans quoi nous allons nous faire embarquer ?
Dans le Canard enchaîné du 10 janvier 2018