Gare aux gourous - octobre 2015
Je ne retiendrai pas grand-chose de ce numéro si ce n'est que tout est gourou… … … sauf la presse (alors que chaque journal à ses adorateur⋅rice⋅s et que certains cherchent une forme d'admiration comme « Cash Investigation ») et les éditorialistes (qui donnent leur avis sur tout sans avoir creusé la question, mais en se pavanant dans leur importance en tant qu'influenceur⋅euse⋅s de l'opinion publique), faut pas déconner.
Le Canard ne fait pas la différence entre un gourou c'est-à-dire une personne, qui peut avoir des choses intéressante à exprimer sur un ou plusieurs sujets, a un style, une attitude, une gestuelle, une diction, des rites, etc. visant à prendre une forme d'ascendance idolâtre sur autrui (Stallman, Apple, etc.) et une personne qui, parce qu'il⋅elle a taffé son sujet a des choses intéressantes à raconter sans pour autant se mettre volontairement en scène en attendant une admiration (Bayart, Piketty, etc.). Il y a une différence entre vouloir être un⋅e gourou et subir l'admiration, en quelque sorte. Il ne suffit pas de défendre ses travaux et/ou ses convictions en public pour être qualifiable de gourou.
Au moins, ce numéro me donne matière à réfléchir sur la notion de popularité : pourquoi certaines personnes sont mises en avant sans avoir travaillé leurs sujets ? Pourquoi d'autres personnes sont mises en avant parmi des tas de gens qui ont tout autant taffé le même sujet ? Bref, pourquoi certaines personnes et pas d'autres ? Est-ce juste une histoire d'avoir eu la bonne idée, sous la bonne forme, au bon moment ?
L'année Canard 2015 - janvier 2016
- Adrien Desport, ex-numéro 2 du FN de Seine-et-Marne, a été condamné, le 23 juillet 2015 (et il n'a pas fait appel), à 3 ans de prison ferme pour avoir, en bande, brûlé 13 voitures et recouvert de croix gammées le portail et le véhicule de cadres locaux du FN afin d'avoir un prétexte pour dénoncer, après-coup la montée de l'insécurité et le laxisme du maire communiste… J'invite à lire cette entrevue très intéressante. Morceau choisi : « Adrien Desport déclare qu’il s’imposera « de ne plus faire de politique ». Mais la flamme est toujours là. « Je suis sans rancune pour le FN. C’est une passion. On entre en politique pour changer les choses. Puis, tout vous pousse à ne pas respecter les règles. J’ai du mal à croire à l’honnêteté en politique. ».
Liberté d'expression, l'état d'urgence - avril 2016
Historique :
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Quelle est l'étymologie du mot « censure » ? Un censor de la République était, à Rome, dès l'an 444 avant JC, une personne chargée du recensement (« census ») de la population, ce qui permettait le prélèvement de l'impôt, l'organisation des élections et de constituer l'armée. Mais, les « censors » s'octroient vite de nouvelles compétences comme celle de tenir le registre officiel des membres du Sénat pour mieux radier les personnes qu'ils jugent indignes de siéger (soupçons de corruption, soupçons d'avoir une vie de débauche, etc.), s'érigeant en moralisateurs.
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La censure a toujours existé… Socrate qui avale du poison pour avoir propagé l'impiété et la corruption de la jeunesse en 399 avant JC… Le peuple qui demande des coupes dans les pièces de théâtre d'Euripide à la même époque… L'empereur chinois Qin Shi Huang qui fait brûler tous les livres du pays et fait assassiner les savants qu'il soupçonne d'avoir appris ces ouvrages interdits par cœur en 213 avant JC… Le privilège royal pour écrire en Angleterre dès 1408… Les fresques de Michel-Ange dont les personnages sont reculotté⋅e⋅s dès sa mort en 1565… À Chicago, en 1907 a eu lieu la première censure cinématographique : une danse du ventre a été jugée immorale. Dès 1910, le Préfet de Paris appellera les tenanciers de cinémas à exercer un « arbitraire bienveillant » concernant les films diffusés… Depuis, ça continue de tous les côtés : radio (certaines chansons de Gainsbourg ou de Balavoine, par exemple), TV, spectacles (Timsit et les handicaps à la fin des années 90, par exemple), affiches (Polnareff 1972, par exemple), cinéma, presse, etc.
- Pourtant, tout le monde aime les moqueries sur les autres. Exemple : l'Iran adore la satire quand elle a pour thème l'État d'Israël (en 2006, à la sortie des caricatures de Mahomet, est lancé un concours national pour vitupérer contre les Juifs) ou contre Daesh (en 2015).
- Les auteurs politiques des Droits de l'Homme ont restreint la liberté d'expression à peine l'avaient-ils énoncée. Ainsi, en 1791, en France, une loi est adoptée afin de réprimer l'écriture de textes conseillant la désobéissance aux lois. En 1793, le Comité de salut public rétablit la censure dans toute sa rigueur afin de cerner ses ennemis. Aux USA, en 1798 (soit 7 ans après la ratification du premier Amendement), les fédéralistes font adopter une loi qui interdit toute critique écrite ou oral du gouvernement… Elle fut invoquée pour condamner et emprisonner le parti d'opposition, mené par Thomas Jefferson. LALA ?
- Les chaînes télévisées d'information en continue, accusées d'imprudence lors des attentats de Charlie et de l'hyper Cacher ont bon dos : en France, en 1870, la presse impériale et le Figaro révèlent les détails des positions des troupes de Napoléon III alors en guerre contre la Prusse. Cet épisode servira à justifier une censure a priori, militaire et politique en 1914 (reconduite en 1939).
- Représenter la figure de Mahomet n'a pas toujours été tabou en terre d'islam : 2 œuvres du peintre Lutfi Abdullah furent commandées au 16e siècle par le sultan ottoman Mourad III. Pourtant, quand le magazine « Sciences et Avenir » les reproduit, sans malice, en 2015, vlam, le Maroc estime qu'il s'agit d'une provocation contre le sentiment religieux…
De nos jours :
- Un militant socialiste reprend le « casse-toi, pov' con » de Sarko devant ce dernier. L'alors chef de l'État porte plainte pour offense au chef de l'État. Le militant est condamné à 30 € d'amende avec sursis. Il va toquer à la Cour Européenne des Droits de l'Homme qui estime qu'il s'agit-là d'un crime de lèse-majesté qui n'a plus sa place de nos jours. Bon, il reste toujours l'injure et la diffamation envers le Chef de l'État, avec des sanctions différentes de celles qui s'appliquent pour injure/diffamation d'un⋅e citoyen⋅ne, normal…
- Alors que la technologie permet enfin à tout le monde de s'exprimer, on assiste à l'aseptisation, à la normalisation de la parole publique, via notamment des consutant⋅e⋅s qui interviennent partout, de l'entreprise, aux fonctions de l'état en passant par les sportif⋅ve⋅s, les éditeur⋅rice⋅s de livres, les chiens de garde de tout poil sur les réseaux sociaux, etc. On ne censure plus, on autocensure. On ne censure plus, on change les pratiques culturelles de masse afin que l'idée même de tenir tel ou tel propos disparaisse.
- La liberté de la presse est également malmenée par les collusion d'intérêts (les médias sont détenus par très peu d'acteurs économiques), par la publicité (si un journal publie une critique d'un grand groupe, hop le journal ne bénéficiera plus du budget pub du grand groupe), par le copinage (en plaçant des "ami⋅e⋅s" partout, les puissant⋅e⋅s s'assure que rien de nuisible ne sera dit sur eux⋅elles par le simple jeu de la corde sensible "on est potos, quand même :'("), par l'uniformisation de la presse quotidienne généraliste régionale (175 titres en 1498, 50 aujourd'hui, concentrés dans des groupes qui les prie de publier un contenu similaire afin de réduire le nombre de journalistes au sein d'une joint-venture), par le secret des affaires toujours mieux protégé, par l'affaiblissement ponctuel de la protection des sources dont les lanceur⋅euse⋅s d'alerte, etc.
- Des chiens de garde souvent cathos conservateur, genre l'association « Promouvoir », agissent en justice afin d'obtenir que des films soient classés "-18 ans", ce qui tue le film dans l'œuf (il sera très faiblement diffusé). Même chose dans les arts (on se souviendra du gode place Vendôme, par exemple). Remarque, Napoléon III attaquait « Madame Bovary » et « Les Fleurs du mal » pour offense à la morale publique… L'article 227-24 du Code pénal (interdiction de diffuser un message à caractère violent, porno ou qui porte atteinte à la dignité humaine s'il est susceptible d'être vu par un enfant) remplace le délit d'outrage aux bonnes mœurs supprimé en 1994 et permet de contenir la liberté artistique. Évidemment, les termes « violence » et « pornographie » ne sont pas définis dans la loi, ce qui laisse place à l'interprétation la plus large. ;)
- À côté de ça, les USA ont une tradition toute différente de la liberté d'expression : le premier Amendement de leur Constitution ne serait souffrir d'aucune exception. On peut donc coller des affiches demandant à Obama d'aller au diable, on peut brûler le drapeau américain, on peut se vêtir de signes religieux en public (y compris voile intégral et signes religieux à l'école), un groupuscule néonazi peut défiler dans les rues, etc. Tout cela repose sur une conviction fondamentale : toutes les idées se valent, le gouvernement doit rester neutre sur le marché des idées. Néanmoins, les USA ont une forte culture normative : pas de zboubs, pas de seins, pas de vraie culture de la satire, etc. Les délits de diffamation et d'injure existent, mais sous un régime différent : c'est au⋅à⋅la plaignant⋅e de montrer la mauvaise foi de l'auteur⋅e (et de l'éditeur⋅rice du media), pas à l'accusé⋅e de montrer sa bonne foi, comme c'est le cas en France. La Cour suprême a aussi posé une limite à la liberté d'expression quand celle-ci amène directement à commettre une violence illégale sur une ou plusieurs personne⋅s.
Le cinéma pique sa crise - juillet 2016
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Je savais que l'« exception culturelle française » désigne des quotas obligatoires de diffusion d'œuvres françaises mais j'ignorais que c'était aussi le nom d'un vaste système de financement redistributif destiné à financer le cinéma d'art et d'essai :
- Taxe spéciale additionnelle : depuis 1948, 11 % du prix d'une entrée en salle, quel que soit le film (donc même Star Wars ou Avatar, des productions étrangères, contribuent à financer les productions françaises) pour produire des œuvres cinématographiques françaises. En 2015, cela représentait 140 millions d'euros ;
- Taxe sur les services de télévision. Les chaînes hertziennes analogiques doivent consacrer 3,2 % de leur chiffre d'affaires annuel à la production ou l'achat d'œuvres cinématographiques européennes, dont 2,5 % pour des œuvres françaises. Canal+ doit consacrer 12,5 % de son CA pour des films européens dont 10 % français. Cela représentait 504 millions d'euros en 2015. D'où le cinéma tremble quand Bolloré impose sa vision business et cinéma rentable au sein de Canal+ ou quand ces chaînes préfèrent aider à produire des séries qui sont plus rentables pour elles (une série, ça fidélise l'audimat qui revient pour chaque épisode) ;
- Crédits d'impôt : environ 30 % du budget total d'un film. Un plafond est toutefois fixé ;
- Les régions contribuent à hauteur de 235 000 € environ, soit 6 % du budget d'un film. Cette moyenne cache une forêt d'inégalités entre les régions (Picardie : 160 000 euros versés en 2015 alors que Nord-Pas-de-Calais a versé plus de 3 millions sur la même période) ;
- Sur chaque entrée en salle, 70 centimes sont prélevés pour un fond de soutien dédié à la production du film : un bide à 300 000 entrées permet de constituer une cagnotte de 210 000 euros qui permettent à la production de ce bide de pouvoir lancer le projet d'un nouveau film ;
- Aide aux cinémas du monde : versement de subventions aux pays en voie de développement pour la production de films. Conditions : coproducteur⋅rice français⋅e + dépenser au moins la moitié de la subvention en France (postproduction par exemple) ;
- L'équipement des cinémas indépendants (qui représente souvent 1/4 de leur budget de fonctionnement) est subventionné par le CNC, par l'État, par les collectivités locales, etc.
- C'est le centre national du cinéma qui gère tout ce fric. C'est donc la profession qui décide, en famille, sans regard extérieur, de la répartition de ces fonds… Donc forcément, il y a des abus (faux frais pour financer des vacances, faire co-financer le film dans un pays où les règles strictes du CNC ne s'applique pas, investir le fond de soutien dans le film d'un⋅e poto cinéaste qui le reverse moyennant une commission) puisque personne ne moufte car tout le monde se tient (si je dénonce, je n'aurais pas de fric pour mon film). Ça explique aussi partiellement pourquoi on trouve des dynasties familiales dans le cinéma français, comme les Seydoux : car tout le monde se connaît, réseautage, petit monde de l'entre-soit, pas d'obligation de profits donc on peut se permettre de faire tourner la nièce incompétente de tel⋅le ami⋅e, etc.
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J'ignorais que l'exception culturelle française, c'était aussi l'interdiction de diffuser des films à la TV les mercredis soir, vendredi soir, samedi et dimanche (avant 20h30) afin de ne pas faire d'ombre aux cinémas… Tu m'étonnes que les gens se tournent massivement vers Netflix…
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Qui fait quoi dans le financement d'un film ?
- Le⋅a producteur⋅rice est le⋅a chef⋅fe d'orchestre : il⋅elle trouve le scénario, le⋅a réalisateur⋅rice, le casting, le financement, etc. C'est eux⋅elles qui financent les premiers pas d'un film (écriture du scénario et/ou achat des droits pour une adaptation). Le risque pris par le⋅a producteur⋅rice ne dépasse pas 30 % du budget d'un film. L'inspection générale des affaires culturelles estiment qu'en France, grâce aux subventions, les producteur⋅rice⋅s ne prennent quasiment aucun risque ;
- Les distributeur⋅rice⋅s essayent de garantir le nombre d'écrans sur lesquels sera projeté le film et il⋅elle⋅s prennent en charge le budget de promotion du film ;
- Les autres diffuseur⋅euse⋅s (comme les chaînes de télévision) prennent aussi un risque équivalent à environ 30 % du budget.