Nom, antécédents judiciaires, “implications associatives”… le Renseignement territorial veut tout savoir sur les “meneurs” des ronds-points.
C'est une instruction secrète qui a été transmise, début janvier, par le ministère de l’Intérieur à ses troupes, chargées du Renseignement territorial : autour des ronds-points, les poulets ont mission de recenser systématiquement et nonminativement les « meneurs du mouvement des gilets jaunes ». Le Service central du renseignement territorial (SCRT), qui dépend de la Direction générale de la police nationale, est chargé de ce fichage très sensible.
Comme le stipule un document en possession du « Canard », le SCRT et ses agents doivent repérer « les personnalités exerçant une réelle influence sur le mouvement ou se signalant par des discours ou des commentaires vindicatifs ou subversifs trouvant de l’écho sur les réseaux sociaux ». Et d’affiner le trait : « des individus qui, aujourd’hui, jouent un rôle réel par leur présence constante, par le caractère fédéateur de leurs actions, par le fait qu’ils ont un potentiel pour être des interlocuteurs des pouvoirs publics ou, au contraire, sont entrés dans une forme de radicalité ». Ça en fait, du monde !
Catho ou franc-mac ?
Pour chaque « personnalité », on demande aux flics de remplir une fiche informatisée. Y figurent, outre sa photo et un état civil complet (pseudo inclus), une foultitude de renseignements : son adresse, son téléphone, sa profession, son véhicule et son immatriculation. Mais aussi, précise le document de l’Intérieur, « ses antécédents et procédures judiciaires », « son implication associative », « son influence et son activité sur les réseaux sociaux », « son implication médiatique », « ses liens avec des éléments ou mouvements radicaux » et le « financement » du mouvement. Et rien sur la couleur de son gilet ?
Onze ans après leur suppression par Sarko, revoilà donc les bons vieux RG et leur parfum de police politique ! Un retour aux sources qui suscite un malaise au sein de la maison poulaga et chez certains préfets. « A la rubrique “Implication associative”, on indique quoi ? “Franc-maçon” ? “Va à la messe” ? » s’inquiète un gradé du Renseignement.
Ben, non, car il y a des activités mieux vues que d'autres qu'il n'est donc pas nécessaire de noter. C'est pourtant simple, voyons ! :P
La Cnil court-circuitée
D’autant que, une fois bouclée cette collecte de terrain, tous les renseignements sont récupérés par la Place Beauvau, à Paris. Vérification faite par « Le Canard », ce fichage qui ne dit pas son nom n’a fait l’objet d’aucune déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Et la loi ? C’est pour les chiens (policiers) ? Pris en flag, le ministère de l’Intérieur fait savoir au « Canard » que « les services font leur travail avec les moyens juridiques autorisés par la loi ».
En constituant ce fichier clandestin, le SCRT et l’Intérieur poursuivent un double objectif : d’abord, mieux surveiller les gilets jaunes et identifier ceux qui pourraient basculer dans la violence ; ensuite, interpeller des meneurs pour tenter d’en faire des balances. Au chapitre « Observations », on peut en effet lire : « L’intéressé a-t-il fait l’objet d’un contact avec le service, avec des administrations ? Un contact est-il envisageable ? » Pour faire des « jaunes » (traîtres)… sans gilet ?
D'un côté, qu'une des parties à l'œuvre dans un conflit cherche à se renseigner sur ses adversaires, c'est la base. D'un autre côté, je trouve cela glaçant : de par les informations collectées (notamment l'appartenance associative, liens et financement), on perçoit que ce fichage perdurera au-delà du mouvement des Gilets jaunes afin d'assurer d'autres objectifs… Souhaitons-nous qu'un État dispose de ces informations et puissent agir dans le futur contre des mouvements naissants ?
Dans le Canard enchaîné du 23 janvier 2019.