Vous souvenez-vous du référendum en 2005 sur le traité constitutionnel européen ? Quand on dit non, ça peut finalement être oui. Même chose avec le Tafta. On ressert le plat jusqu'à ce que ce traité voulu par les puissants de la planète passe.
Les libres-échangistes sont têtus et prennent les gens pour des cons. Il y a deux ans, des millions d'Européens les ont envoyés se faire foutre avec leur traité de libre-échange (TTIP ou Tafta) qui accélérait la marchandisation du monde. Cette déculottée ne les a pas calmés. En juillet 2018, à la faveur de la pause estivale, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, tombait dans les bras de Donald Trump et promettait un renouveau des négociations de libre-échange transatlantique. Sous sa houlette, Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce, a filé en mars à Washington pour proposer The Newt Transatlantic Project. Un Tafta bis auquel on a pris soin d'ôter l'agriculture pour éviter le soulèvement populaire. Le discours qu'elle a prononcé est particulièrement inquiétant. Pour elle, le libre-échange est constitutif de la démocratie. Ainsi, « une voiture peut être achetée à Seattle, assemblée à Detroit, conçue par un Allemand, dotée d'un châssis mexicain et de pièces de moteur canadiennes ». L'accord international sur le climat ? Pas un mot ! L'extinction de la biodiversité ? Rien ! Le social ? Cecilia Malmström a la paraphrase fourbe. Dans sa bouche, la suppression d'emplois pour faire grimper l'action boursière sont simplement « des emplois qui cessent d'exister ». Elle décrit ainsi le monde de ses rêves. Un monde grotesque centré sur la croissance et la compétition économique selon les règles des plus forts, sur l'entente États-Unis-Union européenne (UE) pour taper sur la Chine. les gentils contre le méchant. Deux contre un, une conception de la justice libérale directement issue de la guerre froide. Elle appelle les États-Unis à rénover l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec l'UE pour gouverner le monde. La première étape est ce Next Transatlantic Project « qui garantira la stabilité et la prospérité de la prochaine génération. Celui qui établira notre alliance et nos valeurs en tant que force avec laquelle il faudra compter pendant encore soixante-dix ans. Je propose que nous renouvelions notre ordre mondial pour le XXIe siècle - avec l'OMC au centre du partenariat transatlantique sur le commerce ». Aux yeux de la commissaire, « les plus grandes questions urgentes à régler se situent dans le commerce » car « il n'y a rien de plus urgent que de sauver le système ». Elle pense qu'il n'est plus menacé par la contestation mais par l'âpreté de la concurrence chinoise. Le reste du monde économique est de la piétaille. Le reste de la planète un non-sujet.
Quelle liberté ?
Il ne s'agit plus de commerce de pièces détachées automobiles ou de cargos de soja : la commissaire quitte l'abolition des tarifs douaniers pour entrer dans l'organisation politique du monde autour des seuls intérêts économiques des pays libéraux les plus puissants. Sur la base de cette entrée en matière hégémonique, le Conseil européen a donné mandat à la Commission européenne, le 9 avril, pour négocier la mise en route de ce traité qui n'a de libre que la liberté prise avec la volonté de la majorité des citoyens européens d'en finir avec ce type de mondialisation. Décision prise quelques semaines avant la fin de sa législature. Histoire d'imposer le menu aux suivants.
J'avais oublié que la France d'Hollande a obtenu l'arrêt des négociations sur Tafta en août 2016. Sous la pression des États-Unis, les négociations du Tafta sont relancées… Basta! traitait ce sujet en février 2019. Ce nouvel opus devrait se concentrer sur l'industrie et sur les obstacles au commerce hors droits de douane (comme les normes sanitaires).
À côté de ça, le traité de libre-échange avec le Japon est entré en vigueur en février 2019, celui avec le Canada sera ratifié par l'Assemblée nationale française ce mois-ci et par le parlement des autres membres de l'UE, et la négociation en cours depuis 20 ans avec le Mercosur vient d'avancer à grand pas. Make our planet great again, qu'il disait…
Dans le Siné Mensuel de juin 2019.