La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, jeudi 8 septembre, un jugement qui précise le statut juridique des liens hypertextes sur Internet en établissant la responsabilité d’un site d’information ayant publié un lien vers un contenu mis en ligne en violation de droits d’auteur.
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Mais cette liberté de renvoyer vers un contenu extérieur est également vivement combattue, notamment par les industriels de la culture qui souhaitent pouvoir sanctionner les sites publiant des liens vers des contenus violant leurs droits d’auteur et ainsi empêcher leur référencement.
La CJUE avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cet épineux débat juridique dans son arrêt Svensson, rendu en février 2014, opposant des journalistes à un site internet agrégeant des liens vers leurs articles. Dans cette décision, la Cour avait reconnu que le lien hypertexte était bien une « communication au public », terme juridique permettant de qualifier la violation des droits d’auteur en vertu de la directive européenne de 2001. Mais le site internet avait pourtant été blanchi par les magistrats européens au motif que ses liens renvoyaient vers des contenus légaux, les articles originaux des journalistes. Il n’y avait donc pas de « nouveau public ». [...]
La décision rendue jeudi 8 septembre complète cette jurisprudence en précisant cette fois le statut des liens hypertextes renvoyant vers des contenus illégaux.
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Pour la Cour, le critère qui permet de déterminer la responsabilité du site est la connaissance de l’illégalité du contenu vers lequel il renvoie, en d’autres mots sa bonne foi. Ainsi, si « la personne ne sait pas et ne peut pas raisonnablement savoir que cette œuvre avait été publiée sur Internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur », elle sera exonérée. En revanche, si elle a été avertie par les ayants droit, elle sera reconnue responsable. [...] Mais, précise le jugement, cette possibilité de se prévaloir de sa bonne foi n’est valable que si le site « ne poursuit pas un but lucratif ».
https://www.laquadrature.net/fr/arret-CJUE-lien-hypertexte :
Cependant, [NDLR : dans son arrêt Svensson ], la Cour avait alors fortement limité la portée de sa décision en considérant que lorsqu'un lien hypertexte est établi vers une œuvre mise en ligne avec l'accord de l'auteur, il n'y a pas de communication à un « nouveau public » et aucune autorisation supplémentaire n'était à demander. Ce faisant, la CJUE avait préservé la liberté de lier, sans laquelle le fonctionnement même du web serait compromis.
L'avocat général Melchior Whatelet avait recommandé en avril dernier que ce ne soit pas le cas. Il estimait notamment que si les internautes courraient le risque d'être accusés de violation du droit d'auteur pour de simples liens hypertextes, les libertés d'expression et de communication risquaient d'être fortement entravées. En cela, il rejoignait des positions que défend La Quadrature du Net depuis plusieurs années, considérant que la liberté d'établir des liens devait être complète au nom de la légitimité de la référence.
On notera que l'on a la même problèmatique pouru les noms de domaine. Des noms ont été supprimés/suspendus par des registres (gestionnaire de .com, par exemple, c'est-à-dire des sociétés commerciales américaines. Au début, la supression portait sur le caractère litigieux du nom en lui-même genre si le nom en lui-même est diffamant, injurieux, appelle à la haine raciale, etc. Puis ensuite,ont commencé les suspensions de nom qui n'étaient pas litigieux en eux-mêmes mais qui pointaient sur du contenu litigieux comme Megaupload, par exemple. Ces suppressions sont-elles légitimes ?
[...] Il existe de nombreuses situations où il est très difficile, pour un particulier, mais aussi pour un professionnel, de savoir si une œuvre a été mise en ligne légalement ou non. Pour les sites professionnels, les règles posées par la CJUE seront problématiques et obligeront à des vérifications complexes, sachant par ailleurs qu'il peut être entièrement légitime pour un site d'information de pointer, par le biais d'un lien, vers un contenu illicite [ NDLR : perso je pense à copwatch-idf, par exemple ]. Par ailleurs, savoir déterminer ce qui relève d'un but lucratif ou non sur Internet peut s'avérer très compliqué. Un blog affichant un simple bandeau publicitaire peut être considéré comme poursuivant un but lucratif et se retrouver soumis à un fort risque d'engagement de sa responsabilité.
Toujours l'arrêt Svensson :
Autrement dit, un site de liens qui se serait vu réclamer le retrait de liens renvoyant vers des fichiers piratés hébergés par un tiers (1fichier, Uptobox...) pourrait être poursuivi pour contrefaçon. « Il en est de même si ce lien permet aux utilisateurs de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée afin d’en restreindre l’accès par le public à ses seuls abonnés » commentent les services de la CJUE.
http://www.nextinpact.com/news/101313-quand-cjue-allume-dynamite-liens-hypertextes-illicites.htm :
Les tableaux récapitulatifs de tous les cas possibles sont excellents, je recommande d'aller les visionner.
Des propos d’autant plus vrais qu’un contenu peut évoluer dans le temps, basculant du licite à l’illicite. Il suffit de remplacer un fichier licite appelé par le lien hypertexte, par un autre contenu cette fois illicite : un texte du domaine public par les œuvres complètes de Pascal Nègre, tout juste disponibles sur les marketplaces. Ce tour de passe-passe piègerait mécaniquement tous ceux qui, de bonne foi, avaient placé le lien initial sans vérifier, chaque jour, sa permanence. Or, qui va réaliser un tel « audit » de ses tweets postés voilà plusieurs semaines, mois, voire années ? Qui va épurer quotidiennement tous les liens postés sur son blog, dans ses commentaires, etc. ? Quel site, notamment de presse, va-t-il relever pareille mission herculéenne ?
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Autre chose. Lorsqu’on parle de lien, on ne peut passer sous silence le cas des moteurs de recherches. Ces Bing, Qwant, Google qui indexent à tours de bras automatiques, des millions d’adresses chaque jour, à l’aide d’algorithmes gloutons. Ces acteurs ont une finalité capitalistique, et théoriquement, on devrait être dans la situation d’une communication au public présumée, et donc d’une possible contrefaçon. Ouch !
Cela supposerait néanmoins de considérer que de tels acteurs puissent accéder à cette fameuse « connaissance » sous prétexte qu’ils ont mis en branle des aspirateurs à liens. Certes, la présomption est « réfragable » en ce sens qu’elle peut être renversée par la preuve contraire, mais une telle analyse est déjà contestée.
Ce que j'en retiens :