Un documentaire diffusé en octobre 2018 sur Arte qui traite de la police prédictive.
Il permet de faire le point sur les techniques et méthodes qui existent à ce sujet (et ça fait froid dans le dos, notamment les petites dérives / interprétations personnelles des flics).
En revanche, aucun argument allant à l'encontre de ces technos est nouveau : qui défini les critères de dangerosité (pourquoi la criminalité en col blanc n'est-elle pas analysée ?) ? Pourquoi ces critères ne sont-ils pas publics ? Cela ne favorise-t-il pas un contrôle au faciès (le documentaire nous montre une intervention de police qui fait partie de cette catégorie) / préjugé (« Tu vis dans tel quartier ? C'est le quartier des receleurs, donc t'es suspect. C'est aussi le seul quartier où je peux vivre compte-tenu du montant des loyers…) ? Une probabilité, c'est juste une approximation d'un fait réel par des modèles mathématiques perfectibles, comme la météorologie. Si la désobéissance n'est plus permise, alors il n'y a plus d'espace politique, car il n'y a plus possibilité de faire évoluer la société vers de nouvelles pratiques. Si un crime n'a pas lieu car l'humain a été positivement influencé, faut-il le punir (c'est toute la trame narrative du film Minority Report) ?
Sur le contrôle au faciès, un doute me prend : si un flic décide de t'arrêter parce que t'es un « black à capuche » (exemple souvent cité dans le docu), quelle différence cela fait-il que le traitement qui a conduit à cette décision provienne d'un humain ou d'un logiciel programmé par un humain ?
Je note que, dès son commencement, ce film a un ton négatif : ce flicage permanent fait partie de nous, nous ne l'avons pas vu venir, tout est perdu d'avance, toute résistance est futile…
Mes notes :
- Les logiciels Prepod (USA), Beware (Canada) et Matrix (Londres) fonctionnent tous à peu-près de la même façon. Preprod : être arrêté en même temps qu'une autre personne (victime ou agresseur), analyse des fréquentations d'une personne (graphe social), calcul de la probabilité d'un délit (comme un cambriolage) par secteurs géographiques basé sur les événements délinquants précédents, etc. Beware : casier judiciaire, données financières auprès des organismes bancaires, numéro de téléphone, graphe social, etc. des habitants d'un appartement avant une intervention policière, etc. Matrix : analyse du graphe social, attribution de points de citoyenneté, établissement de listes de personnes à risque de basculer dans la délinquance et envoi de mises en garde "on pense que tu peux passer à l'acte, ne le fait pas" voire déplacement d'un agent de police, etc. ;
- Un délinquant, comme un cambrioleur, serait tout aussi routinier qu'une personne innocente, ce qui explique que des cambriolages se produisent au même endroit quelques jours après un premier signalement… L'argument "renforcer les patrouilles de police dans les secteurs géographiques jugés sensibles est inutile, car il y a un déport de la délinquance vers des secteurs jugés non sensibles" serait ainsi contre-carré ;
- Un système de calcul de la probabilité de la répétition d’un type de délit / crime dans un secteur géographique donné repose sur les signalements : si des infractions ne sont pas signalées, alors le calcul est faussé. Par conséquent : ceux qui signalent sont plus protégés que les autres… Donc des gens qui ont une tendance au signalement facile voire abusif sont plus protégés que les autres… C’est un biais : la police doit-elle vraiment se concentrer sur ceux qui signalent ou sur offrir un même niveau de service à toute la population ? Cela contribuera aussi à une évaluation différente de l’efficacité de la police prédictive : les gens qui signalent beaucoup auront une illusion de la sécurité et seront donc favorables au maintien de ce dispositif alors que les autres citoyens constateront une inefficacité du dispositif. Cette bipolarisation des avis entraînera des débats politiques sur l’intérêt de ces technos compliqués.
- Aux USA, des prises de vues aériennes (réalisées depuis un hélico) très haute définition cumulées d'une ville permettent de revoir une scène de crime à grande échelle, comme une flic qui se fait suivre depuis son domicile pour être assassiné durant son trajet ;
- Les éditeurs de logiciels de police prédictive, c'est un peu comme les géants du numérique : ils développent des outils de surveillance pour gagner du fric, au nom de la croissance, etc. Oui, ça forme une vaste toile, le capitalisme de surveillance.