J'ai participé à cette consultation. En deux fois : découverte et tentative de compréhension des problématiques et des enjeux début décembre puis envoie de mes votes et arguments au dernier moment c'est-à-dire hier soir avant la deadline. Ici, je fais une synthèse de ma position sur le sujet, l'intégralité de mes prises de position étant de toute façon publiquement accessible sur la plate-forme de consultation.
Les députés auteurs de cette consultation ont déjà déposé des propositions de loi (ppl) pour aller dans le sens d'une généralisation des consultations publiques en matière de fabrique de la loi. Elles n'ont pas été examinées et ne le seront probablement pas sous cette législature mais cela donne une idée de la volonté de leurs auteurs. La ppl qui sortira de cette consultation ne sera probablement pas examinée sous cette législature, ce qui implique que les deux députés soient ré-élus aux législatives de 2017. Bref, beaucoup d'incertitudes sur le devenir de ce travail de consultation.
Je suis favorable à la généralisation des consultations publiques parlementaires sous les conditions suivantes :
- La consultation doit être ouverte dès que le projet de loi ou la proposition de loi est à l'étude dans les cabinets ministériels ou chez les parlementaires, c'est-à-dire en amont de son dépôt sur le bureau d'une des chambres du Parlement. Car c'est à ce stade que l'orientation générale se fait, que les premières pressions extérieures des lobbys de carrière se font sentir et que les premiers compromis (arbitrages dit-on pour être poli) se font. De plus, la maturation d'une réflexion prend du temps, chaque citoyen-ne doit donc avoir plusieurs mois pour répondre à la consultation, ce qui n'est pas possible dans le cadre purement parlementaire.
- Tous les textes, sans aucune exception, doivent être ouverts à la consultation. Les député-e-s n'ont pas le monopole du bon sens, des bonnes idées et des bonnes solutions sur certaines thématiques. Hors de question de consulter uniquement quand cela arrange les politiques de carrière. Le-a citoyen-ne peut intervenir à chaque étape (commission, séance publique) de chaque chambre pour enrichir le texte et/ou s'opposer (en argumentant) à des modifications votées par une chambre.
- L'intégralité des données brutes de chaque consultation doit être disponible en open data, sous une licence libre et dans un format numérique facilement réutilisable. Au-delà de ça, il peut y avoir production d'une synthèse, réponse aux propositions qui ont reçu le plus de votes, etc. mais ça, je m'en fiche complètement tant que cela ne fait pas obstacle à la publication des données brutes car c'est de l'enrobage. La question n'est pas de savoir qui lira ces données brutes et sous quel prétexte. La question est de laisser la possibilité à quiconque de le faire. Soit parce que c'est son sujet d'étude (pour de la recherche, un reportage journalistique, un travail associatif, etc.) soit pour vérifier après coup que la consultation n'a pas dérapée (un peu comme l'urne transparente lors des élections) soit pour toute raison que je n'imagine même pas.
- Quel(s) prestataire(s) sera(ont) en charge des consultations ? Est-ce que cela sera une unique société commerciale comme cap-collectif l'a été pour toutes les consultations jusqu'à ce jour ? Quid alors des conflits d'intérêt ? Est-ce que cette société commerciale aura un accès privilégié à la commande publique et aux financements pour structurer la société civile et l’innovation démocratique, comme c'est le cas aujourd'hui ? N'est-ce pas inquiétant que l'ensemble des citoyen-ne-s dépose toutes leurs opinions politiques (et plus encore car la politique est transversale) dans un seul système d'information opaque et centralisé, propriété d'une société commerciale privée ? Voir « Le « gouvernement ouvert » à la française : un leurre ? ». Une plateforme en logiciel libre (sans traqueurs ni ressources externes) issue de la mutualisation par la demande (création d'un consortium public qui passerait commande d'un logiciel libre répondant aux besoins) ainsi que la compétence du Parlement dans la gestion technique/administrative/autre des consultations en tant que service public (je ne sais pas quel terme est réellement approprié) est le minimum vital.
- Si la consultation est uniquement accessible sur le web, cela exclura d'office des catégories entières de la population : handicapé-e-s (de là, on comprend qu'une plateforme de consultation respectant les normes et règles en matière d'accessibilité est le minimum vital), ceux et celles qui n'ont pas encore fait la transition numérique, ceux et celles qui ne peuvent pas procéder à cette transition, etc. D'un autre côté, je crois beaucoup plus en la vertu d'une discussion écrite car elle sera plus posée, plus structurée, plus argumentées (moins de rhétorique et elle se verra de manière flagrante) et qu'il y aura une trace des échanges (hors de question d'échapper à ses propos). De plus, une discussion écrite sera plus indexable que la vidéo d'un échange oral. Cela permet des recherches plus faciles des années après, cela ne demande pas du travail supplémentaire pour sous-titrer la vidéo pour les sourd-e-s/malentendant-e-s, etc. De plus, organiser un débat physique avec de la téléprésence, c'est toujours compliqué : où auront lieu ces débats, en IddF ? Il apparaît important de défrayer les participant-e-s, est-ce qu'on impose aux employeur-euse-s de laisser participer leurs employé-e-s à n'importe quelle condition ? Qualité de la connexion Internet et minimisation des bugs pour la téléprésence, etc. Bref, la gestion événementielle est très lourde pour des débats oraux dont la qualité argumentaire laissera à désirer, àmha. Or, il n'y a que le numérique qui puisse permettre une telle profusion d'idées et d'échange par écrit (tout en respectant un minimum l'environnement). La question est : comment accompagne-t-on ces personnes handicapées ou désavantagées alors que la réflexion politique se doit en même temps d'avoir une part toute personnelle ? L'accompagnement ne doit pas être trop pesant. J'avoue ne pas avoir de réponses.
- Comment sera assurée la promotion de chaque consultation c'est-à-dire comment chaque citoyen-ne saura que telle ou telle consultation est ouverte ? Car si les seuls supports de communication sont les sites web des parlementaires à l'origine d'une ppl ou quelques rares sites web de presse spécialisés ou la propagation via les réseaux sociaux, alors on aura toujours un très fort biais dans la représentativité des participant-e-s. Que fait-on ? Information sur les sites web des chambres du Parlement ? Sur service-public.fr ? Tracts/affiches ? Ou l'on espère que les médias à large audience se saisiront du sujet à chaque fois ? Ou que la prise de conscience d'une capacité de participation va entrer dans les mœurs magiquement (ou par l'école, ce qui revient à peu près au même) ?
- Quant à décider si les propositions issues de la consultation les plus plébiscitées doivent forcément être intégrées dans le projet de loi ou la proposition de loi, j'y suis plutôt défavorable. Le-a citoyen-ne n'a pas encore l'habitude (ni l'aisance) du débat argumenté par écrit là où les lobbys sont formés à cela ; Le-a citoyen-ne a un travail et doit participer sur son temps libre là où les lobbys seront payés pour participer, c'est leur travail ; Les citoyen-ne-s et les lobbys pourront bidouiller les votes avec des robots comme cela se fait sur les réseaux sociaux. Le combat est trop déséquilibré. Je pense que les citoyen-ne-s ne sont pas encore prêt-e-s pour une démocratie directe. Les consultations (purement consultatives, donc) seront formatrices, elles permettront d'entrer dans la vie politique (au sens noble du terme) en douceur et de documenter les erreurs, les fautes et les errements des politiques de carrière ("sur tel et tel point, on vous l'avait bien écrit, sur un support dont vous ne pouviez ignorer l'existence !"). Si elles rencontrent le succès de la participation citoyenne au point de regrouper un nombre d'électeur-rice-s susceptibles de faire basculer une élection, ces consultations ne pourront mécaniquement plus être ignorées par les politiques de carrière. La généralisation des consultations est un premier pas vers l'encapacitation (empowerment en anglais) des citoyen-ne-s nécessaire à une démocratie directe. La démocratie directe implique une plus grande prise en main du-de-la citoyen-ne par le-a citoyen-ne.
- Il m'apparaît que la question de fond qui est posée par cette initiative de généralisation des consultations est la suivante : comment éclaire-t-on les citoyen-ne-s ? (et cela ne veut pas dire expliquer une position jusqu'à la nausée c'est-à-dire jusqu'à ce que le bon Peuple soit d'accord comme le font nos politiques de carrière) Comment les fait-on participer à la vie politique (au sens noble du terme de vie de la cité, pas au sens de politique politicienne de carrière) ? Comment les encapacite-t-on (empower en anglais) ? Cela va au-delà du cours d'éducation civique où l'on présente béatement et sommairement la zolie démocratie représentative et quelques institutions. Il y a un vrai travail (associatif, de préférence) de terrain à faire pour comprendre et s'approprier le Droit et les enjeux sociaux et sociétaux (les seuls enjeux de société selon moi mais je suis biaisé). De même, tout le monde n'est pas à l'aise pour s'exprimer, débattre sur ses idées, les confronter, ni à l'aise avec le vocabulaire d'un domaine (attention, je ne parle pas de quelque chose que l'éducation ou la formation peuvent résoudre mais quelque chose de plus profond tendance habitus culturel et capital culturel). Bref, participer à la vie politique, ça s'apprend et il faut encapaciter les citoyen-ne-s avant d'envisager de migrer vers une démocratie directe.
Et même avec tout ça, il reste encore beaucoup de modalités à préciser. Exemple : la plateforme de consultation peut utiliser France Connect, mais je dois rester libre de pouvoir m'identifier par un autre moyen. De même, il ne doit pas y avoir une publication de l'état civil car alors il ne peut plus y avoir de prises de position en l'absence de risques de pression (ce n'est pas pour rien que le vote est secret). Bref, nous sommes à l'ébauche de quelque chose de nouveau.
Sur le plan personnel, je me suis encore une fois laissé déborder par le temps, du coup la réflexion n'est pas forcément aussi aboutie que je l'aurais espérée, je n'ai pas pu voter/argumenter sur chaque proposition (notamment concernant les délais et le logiciel libre + gouvernance) et je ne peux pas recevoir de commentaires en provenance de citoyen-ne-s.