Le territoire américain commence-t-il aux portes d'embarquement des aéroports européens ?
Missionné par son université pour participer à un colloque aux Etats-Unis, Michel, 67 ans, s’apprête à embarquer, avec son épouse, sur le vol Paris-New York au départ de Roissy. C’est alors qu’il a la désagréable surprise de devoir se soumettre à une fouille inopinée. Bagage à main litigieux ? Geste déplacé ? Que nenni ! Notre universitaire a tout bonnement été tiré au sort parmi les voyageurs de ce vol Air France-Delta Airlines. La routine…
Michel se plie de bonne grâce au contrôle et demande l’autorisation, sitôt ses affaires déposées sur la table de fouille, de prévenir sa femme — laquelle se trouve déjà sur la passerelle d’embarquement. Demande refusée. Qu’à cela ne tienne, Michel se met à crier : « Attends-moi, je suis contrôlé. » Et d’ajouter, sur le ton de la plaisanterie : « Je dois avoir l’air d’un terroriste ! » Mauvaise idée… Aussi sec, l’un des superviseurs de la société chargée de la sécurité du vol, ICTS, alerte le comptoir Delta Airlines : « Ce monsieur a déclaré à plusieurs reprises être un terroriste et une menace pour ce vol. »
« Mes propos ont été mal interprétés, plaide Michel. Je blaguais pour détendre ma femme. » Las ! La responsable au sol de la compagnie tranche : « Vous êtes sur une compagnie américaine. On ne plaisante pas. » Et, sur-le-champ, signifie à notre farceur non seulement un refus d’embarquement, mais aussi une interdiction de vol sur Delta Airlines pour une durée indéterminée. Et pourquoi pas une séance d’humiliation publique, pendant qu’on y est ? Tiens, c’est une idée ! Le chef d’équipe du « programme de conseil en immigration », mis en place à Roissy par les douanes américaines, obtient dans la foulée l’annulation immédiate de l’Esta (autorisation de voyage sans visa) de Michel. Ce qui, jusqu’à nouvel ordre, empêche ce dernier de se rendre aux Etats-Unis.
Sous bonne escorte, notre passager, abasourdi, est finalement conduit dans les locaux de la police aux frontières de Roissy… Qui demande (avec succès) au parquet de Bobigny le classement sans suite de cette affaire… « faute de preuves suffisantes ».
Fin de l’histoire ? Pas vraiment. « Toutes les démarches que j’ai entreprises pour obtenir réparation sont restées veines », peste Michel. La compagnie Delta Airlines, invoquant un billet acheté en France, renvoie le dossier à Air France, lequel ne « peut » indemniser Michel car « les causes [du] refus [d’embarquement sont] totalement hors de [son] contrôle et indépendantes de [sa] volonté ». Circulez !
Le ministère français des Affaires étrangères a, quant à lui, apporté cette réponse à Michel : « Suite à un accord passé, en 2010, entre les autorités américaines et plusieurs gouvernements européens, dont la France (…), des agents douaniers américains sont effectivement déployés dans les aéroports européens et notamment celui de Roissy. Ils peuvent intervenir en amont et ont toute latitude pour décider de l’entrée ou non des touristes étrangers sur le territoire américain. »
Celui-ci commence donc aux portes d’embarquement des aéroports européens.
Vite, une guérite !
J'ignorais l'existence de cet accord de 2010. :O
Dans le Canard enchaîné du 29 mai 2019.