Rotule explosée, mâchoire fracturée, côte cassée, œil crevé… Depuis le 17 novembre 2018, pas une manif de gilets jaunes sans son lot de blessés graves : la faute aux grenades lacrymogènes instantanées (25 grammes de dynamite chacune) [ NDLR : GLI F4 ;) ], mais plus encore aux mal nommés lanceurs de balles de défense (LED), version moderne du flash-Ball. Ces « armes de force intermédiaire », selon la police, sont capables de causer « des risques lésionnels graves », voire de tuer une cible à moins de 10 mètres.
Ce n'est pas de la dynamite, mais du TNT.
Depuis l’acte I, 78 victimes de violences flicardes ont saisi la police des polices : c’est Eric Morvan, le chef des poulets, qui l’affirme. Le défenseur des droits précise, de son côté, avoir été saisi de 25 cas de blessés par LBD. Bizarrement, aucun flic n’a, à ce jour, fait l’objet de sanctions pour avoir joué à la baballe.
Toubib or not toubib
Du côté des bœuf-carottes, enquêter n’est pas sorcier : depuis 2012, ils sont destinataires d’un fichier détaillant chaque tir de balle de défense, les circonstances, le matricule du flingueur, l’identité des victimes, leurs lésions, etc.
Pour les blessés, le ministère de l’Intérieur affiche une tendre sollicitude. L’une de ses récentes circulaires précise : « Un examen médical doit être pratiqué dans les meilleurs délais et un certificat médical descriptif doit être délivré par le praticien. » Et elle rappelle cette consigne : « Le tireur vise de façon privilégiée le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs. La tête n’est pas visée. » Les éborgnés seront ravis de l’apprendre.
Les utilisateurs de LBD sont pourtant bien formés. De surcroît, pour tirer comme il faut, ils disposent d’une visée à pointeur lumineux. « De deux choses l’une, déclare Jérémie Assous, avocat de sept journalistes blessés par des balles de défense. Soit les policiers sont nuls, soit ils le font exprès. Et leurs chefs préfèrent fermer les yeux. » Impensable.
Casser les casseurs
Un commissaire parisien opère de savantes distinctions : « Si, dans l’ensemble, CRS et gendarmes mobiles respectent les consignes de tir, c’est loin d’être vrai pour les flics en civil qui interviennent à leurs côtés. » Et de pointer les « détachements d’action rapide » créés par la Préfecture de police pour chasser les casseurs. Chez eux, dit-il, manier le LBD, « c’est la fête du slip ». La classe…
Avocat de plusieurs blessés, Yassine Bouzrou a saisi la Cour européenne des droits de l’homme afin de faire temporairement interdire l’engin. En vain.
Le défenseur des droits, lui, attend toujours que la présidence de l’Assemblée réponde à sa proposition (formulée en décembre 2017) d’interdire les LBD dans les opérations de maintien de l’ordre.
Les députés n’ont pas saisi la balle au bond…
C'est une première depuis le début du mouvement des gilets jaunes : le 12 janvier, lors des dernières manifs, certains CRS ont été autorisés à s’équiper de fusils d’assaut lors d’« opérations de maintien de l’ordre ». A n’utiliser, bien sûr, qu’en cas de force majeure…
Le 10 janvier à 10 h 48, un télégramme émanant du ministère de l’Intérieur — dont « Le Canard » a copie — ordonne aux patrons de compagnie d’« appliquer systématiquement et obligatoirement [deux] instructions ».
Primo, « chaque commandant (…) veillera à prééquiper un binôme observateur tireur (BOT) en capacité de se déployer immédiatement ». En clair, un tireur d’élite flanqué d’un guetteur avec jumelles, positionnés sur des « points hauts », c’est-à-dire les toits d’immeubles. Un taf habituellement confié aux tireurs d’élite des unités antiterroristes.
Secundo, déploiement systématique de « 2 HK G36 », les fameux fusils d’assaut dont ont été dotés policiers et gendarmes après l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015.
Justification comique fournie par le directeur central des CRS : « Si nos hommes portent leurs fusils d’assaut, c’est pour ne pas se les faire voler dans le camion (sic) ». Le même Philippe Klayman, en 2015, justifiait la création des BOT par la « possibilité d’une riposte au délai de mise en œuvre réduit », tout particulièrement dans le cadre de « nouvelles menaces ». Comprendre : les actes terroristes. Et, désormais, les gilets jaunes.
Ils seront sûrement flattés du rapprochement !
Mais après ça, nooooon, au grand jamais les mesures et les outils antiterroristes choisis et mis en œuvre dans l'émotion sauront utilisés dans d'autres contextes et contre le peuple ! Un contre-exemple de plus.
Dans le Canard enchaîné du 16 janvier 2019.