Aube dorée, l'un des partis d'extrême-droite grecs a perdu ses députés au Parlement européen et certains de ses membres sont devant la justice (ce qui permet de découvrir, Ô surprise, la planification de ratonnades, d'embuscades et d'assassinats). Un nouveau parti d'extrême-droite est né : La Solution grecque. La droite a pris le pouvoir en Grèce. Elle semble être sur la même ligne libérale, anti-migrants et anti-gauchistes que feu Aube dorée. Les privatisations s‘accélèrent, le droit du travail est attaqué, les pétroliers (dont Total) ont eu le feu vert pour forer près des belles plages grecques au risque d'en réduire la fréquentation touristique. Un quartier auto-géré d'Athènes, Exarcheia, résiste aux foudres du pouvoir et aux expulsions de squats. Le mouvement anarchiste le plus célèbre du quartier pratique la destruction des fichiers de personnes surendettées, la reconquête de quartiers fascistes, le saccage des bureaux de promoteurs de la privatisation à tout-va, etc. Le gouvernement a fait modifier la loi afin d'appliquer l'étiquette terroriste à ce groupe anar.
Le quartier Exarcheia, à Athènes, est l’épicentre de la résistance aux politiques économiques qui font des ravages. La droite tente d’étoufier ce souffle libertaire, en vain.
Les législatives de juillet ont provoqué le départ de Tsipras, battu par le chef de la droite, Kyriakos Mitotakis, fils d’un ancien Premier ministre et oncle du nouveau maire d’Athènes. Le retour des dynasties politiques… Sur le plan économique, les privatisations s‘accélèrent, le droit du travail est attaqué, les régions sauvages sont données en pâture aux investisseurs : à l’ouest du pays et jusqu’en Crète, plusieurs sociétés pétrolières ont obtenu de fouiller le sous-sol marin pour positionner des plateformes en mer, à quelques kilomètres des côtes. Total et Exxon sont les grands gagnants de cette « tombola de la peur ». À Paleiochora, dans le sud-ouest de la Crète, Manolis participe à une mobilisation contre le projet : « Ils sont fous ! Faire ça aussi près des plus belles plages de Grèce, c’est risquer d’anéantir le tourisme, la première ressource de l’île ! Tout ça pour quelques dollars en plus! »
La grosse affaire du nouveau gouvernement est surtout politique. Le Premier ministre a annoncé qu’il allait « nettoyer Exarcheia dès le premier mois ». Ce quartier rebelle du centre-ville d’Athènes, connu pour sa forte concentration de squats, est devenu le Katmandou des anarchistes en Europe, l’endroit où il faut aller un jour, la Mecque des athées désireux de détruire le pouvoir : 1 % de la population d’Athènes, mais de l’autogestion à tous les étages et une banderole No Pasaran qui barre l’une des rues. Pour réussir, Mitsotakis a recruté beaucoup de policiers, dont 2000 voltigeurs, et durcit la loi contre toute forme de rébellion, à commencer par l’usage de cocktails Molotov, passible de plusieurs années de prison ferme. Il faut dire que c’est une institution à Exarcheia, au point que le recyclage des bouteilles en verre est assuré localement. Certains s’amusent même à mesurer les distances en jets de cocktails Molotov. À un touriste cherchant un distributeur de billets, un anar répond : « Il n’y en a plus dans Exarcheia; depuis 2009, on les a tous brûlés. Mais vous en trouverez place Omonia, à cinq jets de cocktails Molotov d’ici. » Stupéfaction du touriste puis éclat de rire.
« Pour l’instant, le gouvernement de droite est en échec, affirme Maria à la terrasse du K-Vox, un bar autogéré. Il prétendait que les vingt-trois squats d’Exarcheîa seraient évacués en un mois, et presque trois mois après, il n’a toujours pas réussi à virer tout le monde. » Pourquoi cet échec ? « La mobilisation est de plus en plus forte, les soutiens arrivent de partout, de nombreuses manifestations et actions ont eu lieu devant des consulats et ambassades de Grèce dans le monde entier. » À côté d’elle, Kostas, tout vêtu de noir, modère son propos : « C’est aussi pour ne pas gêner le tourisme. Le gouvernement attend peut-être novembre pour finir ce qu’il a commencé. »
Dans la nuit, les opérations de surveillance animent le quartier. Devant certains squats, des anars et des réfugiés assurent ensemble les tours de garde. Au pied du Notara 26, il y a même des militants venus de France, de Suisse et de Belgique « pour soutenir Exarcheia et aussi pour refuser l’évacuation des migrants vers des camps surchargés et insalubres. » Maud pense qu’il s’agit d’un moment historique : « C’est une lutte internationale, avec des solidaires venus du Nord-Ouest et des réfugiés qui ont fui le Sud-Est. Nous vivons quelque chose de fort politiquement. L’enjeu n’est pas seulement Exarcheia et les réfugiés, mais aussi l’utopie à défendre, celle que veut faire disparaître le pouvoir dans l’imaginaire social. »
Le groupe anarchiste le plus célèbre du quartier, Rouvikonas, du nom du fleuve Rubicon qu’il ne fallait surtout pas franchir dans l’Antiquité, est également dans le collimateur. Ce collectif fait beaucoup parler de lui pour ses actions coup de poing : destruction des fichiers de personnes surendettées, saccage des bureaux de privatisation du bien commun, interruption des négociations avec les dirigeants européens, ravalement du Parlement en rouge et noir… Rouvikonas ne cesse de faire rire, de réconforter et de recevoir le soutien de plus en plus de Grecs, même parmi les plus récalcitrants aux idées libertaires. Alors que ce groupe n’a jamais tué ni blessé personne, le gouvernement a décidé de modifier un article du code pénal (187A) pour le classer parmi les organisations terroristes. La levée de boucliers a été immédiate : plus d’un millier de Grecs et de solidaires d’autres pays se sont déclarés membres de Rouvikonas pour prendre la défense des membres réels et brouiller les pistes. Comme pour Exarcheia, le gouvernement est désarçonné : rien ne se passe comme prévu. Pour l’instant, David tient bon face à Goliath ! Jusqu’à quand ?
Le parti néonazi grec est en train de redevenir un groupuscule miteux. En 2014, il avait frôlé les 10 % aux élections européennes, son apogée, avant de retomber sous la barre des 3 % en juillet 2019, perdant ainsi tous ses députés au Parlement. Depuis, les démissions dans la hiérarchie se succèdent, parfois accompagnées de disputes à mourir de rire, et les locaux d'Aube dorée sont abandonnés comme des dominos. Seul reste encore le siège de l’avenue Diligiannis, non loin du quartier d’Agios Panteleimonas, autrefois le point de rendez-vous des fascistes d’Athènes. Mais, depuis 2013, les antifascistes du groupe Distomo épaulés par Rouvikonas ont réussi à reprendre ce quartier, rue par rue. Et puis, deux morts ont marqué les esprits en 2013 : celle du réfugié pakistanais Shehzad Luqman puis de l’antifasciste grec Pavlos Fyssas. Le procès qui se déroule depuis a mis en lumière, au fil des mois, le contenu profondément fasciste et nazi de l’organisation et sa nature criminelle dans sa façon de planifier ratonnades, embuscades et assassinats. Mais si Aube dorée est en train de disparaître, grillé dans les urnes, dans la rue et dans les tribunaux, le fascisme est toujours là. Un nouveau parti est né à l’extrême droite, un peu plus religieux et moins radical : La Solution grecque. Et surtout, beaucoup d’électeurs d’Aube dorée ont soutenu Mitsotakis et sont ravis de sa volonté de rafler les migrants d’Exercheia et de fermer les squats anarchistes et gauchistes. Lors de la première opération d’évacuation, le 26 août, des hommes parés d’insignes fascistes, notamment un tee-shirt de Defend Europe, ont été remarqués à côté des policiers. Le fascisme est toujours là. il a juste changé de masque.
Dans le numéro d'octobre 2019 de Siné Mensuel.