Sur le papier, la nomination d’une jeune ambassadrice au poste de secrétaire générale de la conférence mondiale de l’Organisation des Nations unies sur les femmes était séduisante. Le Quai d’Orsay, qui s’est maintes fois fait taper sur les doigts en raison de sa réticence à nommer des femmes à des postes à responsabilités, avait l’occasion de calmer les critiques. Sauf que, chez les diplomates, le profil de la promue fait jaser.
Delphine O — c’est son nom — devient, à 33 ans, la plus jeune ambassadrice de la Ve République, en dépit d’un pedigree plutôt mince. Au cours de sa brève carrière, la jeune femme a occupé un seul poste à l’étranger : chargée des discours au consulat général de France à New York. En revanche, jusqu’en avril, elle siégeait à l’Assemblée nationale en tant que suppléante En marche ! de l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, remplacé depuis à ce portefeuille par… Cédric O, frère de la diplomate. Le monde est petit.
Diplomatie du karaté
Cette promo express agace d’autant plus au Quai qu’elle intervient après d’autres nominations, un brin politiques, imposées par le Château. En décembre, Yann Wehrling, illustrateur de formation, sans expérience internationale (en 2017, il suivait une formation d’anglais financée par le conseil régional d’Ile-de-France), en a profité. Cet ancien secrétaire national des Verts, puis secrétaire général du MoDem — le parti allié de Macron —, a été propulsé ambassadeur délégué à l’environnement. Autre ascension diplomatique : celle de Pascal Cagni, ancien haut cadre d’Apple. Celui qui fut l’un des premiers convives des dîners de levée de fonds du candidat Macron a été nommé, dès septembre 2017, ambassadeur délégué aux… investissements internationaux. En mai dernier, enfin, Laurence fischer, ex-championne du monde de karaté et membre de plusieurs missions humanitaires, qui avait appelé à voter pour le futur président, est devenue ambassadrice pour le sport.
En marche !, un moteur à piston ?
Je pense que c'est plus compliqué de cela.
Tout pouvoir politique tente de placer des pions qui lui sont acquis un peu partout dans l'administration afin que celle-ci, aidée par son statut protecteur, ne lui mette pas des bâtons dans les roues dans l'application du programme du candidat-président. Macron a annoncé cela (spoil system à l'américaine) dans son programme. Donc c'est forcément des copains qui sont nommés puisqu'on renonce sciemment à nommer au mérite ou au sort.
La presse ne cesse de se faire l'écho depuis 2 ans qu'En Marche, par sa jeunesse, manque de personnes en interne à même de tenir des postes-clés. Cela conduit soit à recruter ailleurs (et donc à se rendre vulnérable à d'autres partis politiques), soit à prendre ce qu'il y a en interne. La deuxième solution, en plus de former des "professionnels" dont on manque, permet d'acquérir la fidélité des personnes concernées et/ou de récompenser les soutiens de la première heure, ce qui est toujours appréciable si l'optique est d'obtenir une administration obéissante, une réélection, etc.
Ce n'est pas un hasard si ces nominations se déroulent dans la diplomatie française : il suffit de blablater, parlementer, rencontrer les autres ambassadeurs du monde, gratter du papier, etc. C'est un début de carrière, en somme.
Dans le Canard enchaîné du 5 juin 2019.