Trump envoie des bombardiers en Iran puis renonce puis il renforce les sanctions économiques iraniennes tout en conduisant des opérations de piratage informatiques de systèmes iraniens, le tout en menant une escalade verbale. Visiblement, quelques généraux raisonnés parviennent encore à lui faire entendre raison. Pendant ce temps, l'Iran dépasse la limite imposée d'uranium qu'elle stocke et celle d'enrichissement de l'uranium, afin de faire reculer les sanctions économiques américaines, prétend-elle. Jusque-là, tout va bien, jusque-là tout va bien, jusque-là…
À Washington, les attachés militaires français ont décrit leur influence jusque dans l’état-major des armées US..
Le Pentagone, qui vient de perdre son patron, Patrick Shanahan — contraint de démissionner après une dispute conjugale trop bruyante — , abrite un nid de « colombes », et l’on ne se doutait guère de leur importance. Les attachés militaires français en poste à l’ambassade de France, eux, s’y sont intéressés, au fil des mois, et ils ont transmis à Paris des informations sur leur rôle lors du dernier épisode de la confrontation Washington-Téhéran.
A en croire ces officiers français, un courant grandit au sein du Pentagone et jusque dans l’entourage du chef d’état-major des armées, Joseph Dunford, et de son adjoint, le général Paul Selva. Ces « colombes » — ou ces généraux modérés, si l’on préfère — sont loin de partager les positions des « faucons » proches de Donald Trump (Mike Pompeo, le patron des diplomates US, John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale, et la cheffe de la CIA, Gina Haspel), qui pressent le Président de donner une bonne leçon aux Iraniens.
A la différence de ces partisans forcenés d’une bonne guerre, les colombes préconisent une solution moins brutale à la crise, toujours selon les officiers français en poste à Washington. A savoir la recherche d’ « un consensus international » — c’est-à-dire essentiellement politique — afin de protéger la circulation, dans le Golfe, des pétroliers et des méthaniers. Et les officiers français de rapporter, comme preuve de cette démarche, les propos récemment tenus par le général Paul Selva devant ses subordonnés : « Il est urgent que la communauté internationale établisse une réponse collective, [même si les Etats-Unis] ont un rôle important a jouer. »
Foudre de guerre ou pas ?
Que ce général, qui sera promu chef d’état-major des armées dans quelques mois, se permette d’accorder un tel rôle à la communauté internationale a mis en fureur tous les va-t-en-guerre des Etats-Unis. La semaine dernière, ces faucons avaient pourtant failli l’emporter. Ils jubilaient : Donald Trump venait enfin de donner l’ordre de bombarder trois sites militaires iraniens. Mais, au dernier moment, le Président avait soudain annulé l’opération.
Explication fournie à la presse par Trump, qui jouait les humanistes : « J’ai demandé combien il allait y avoir de morts, un général m’a répondu : “150” » (une précision si remarquable qu’elle prête à sourire). Autre « révélation » présidentielle : « C’est sans doute un général vraiment stupide qui a donné l’ordre d’abattre notre drone. » Cet avion sans pilote vaut 123 000 dollars [ NDLR : 123 millions, d'après le Canard enchaîné de la semaine suivante ], mais sa destruction ne méritait pas que l’on déclenche une guerre, laisse entendre Trump.
Dimanche 23 juin, lors d’un entretien sur la chaîne NBC, Trump exonérait de nouveau les dirigeants iraniens de toute responsabilité dans la destruction du drone américain. « Ils veulent négocier et conclure un accord avec nous », disait-il. Cependant, un peu plus tard, il menaçait encore l’Iran d’« un anéantissement du genre jamais vu ». Mais, pour l’heure, il ne s’agit que de prendre de nouvelles sanctions économiques (« dures et durables », précise Trump) contre ce pays. Et de poursuivre des opérations de cyberguerre. Le 20 juin déjà, au moment où des avions US s’en allaient bombarder, des experts américains en cyberattaques s’en prenaient au siège d’une unité de renseignement et à des systèmes informatiques iraniens.
A tenir des propos aussi contradictoires, Trump ne serait-il vraiment qu’un bravache ? Certains jours, oui, et d’autres, non. Et les experts en trumpologie nous assurent que ce président ne veut pas la guerre. « Trump est un faux dur, et c’est tant mieux », titrait le « Los Angeles Times », le 24 juin. Mais de peur qu’on lui reproche sa reculade, Trump a voulu convaincre ses alliés dans la région — Arabie saou— dite, Israël, Emirats arabes unis — qu’il ne renonçait pas à mettre « l’Iran a genoux ». A en croire des diplomates français, le super-faucon John Bolton a rencontré, le 24 juin, le Premier ministre israélien avec pour mission de l’assurer que l’Iran restait l’ennemi préféré du Président. Tandis que Mike Pompeo, lui, se rendait en Arabie pour y rencontrer le toujours souriant prince héritier, MBS, puis à Dubai, dans les Emirats.
Aux uns et aux autres, ces deux émissaires devaient jurer que Donald Trump n’est pas qu’un foudre de guerre verbale. Et qu’il peut mieux faire…
Dans le Canard enchaîné du 26 juin 2019.