Communications trop chères et trop lentes, coupures à répétition… La Guyane en avait assez des connexions Internet et mobile aléatoires. En juin 2015, la collectivité territoriale, présidée par Rodolphe Alexandre (rallié a Macron), a lancé un projet ambitieux : tirer un nouveau câble sous-marin pour assurer une liaison directe entre Cayenne et l’Europe. Baptisée « Guyalink », cette bretelle doit être raccordée à un futur câble reliant le Brésil au Portugal.
EllaLink, dont la mise en service est prévue pour 2019 ?
Un plongeon salvateur dans le grand bain digital ? C’était compter sans le réveil soudain d’Orange ! Alors qu’il n’avait pas répondu, fin 2015, aux sollicitations de la collectivité territoriale de Guyane, l’opérateur a fait volte-face un an plus tard. Orange, qui contrôle Americas-II — l’unique câble reliant la Guyane à la métropole, en passant par les Antilles et Miami —, a annoncé, le 9 novembre 2016, son intention d’investir 35 millions d’euros sur ses fonds propres pour doubler ledit câble sur la partie Guyane-Guadeloupe. De quoi saboter le potentiel cordon ombilical guyanais !
L’équation financière de Guyalink, qui entendait briser le monopole d’Orange, se trouve fragilisée. Arrivé tardivement dans le jeu, Stéphane Richard, le pédégé d’Orange, a promis des tarifs plus avantageux. Résultat, l’Etat s’interroge : est-il pertinent de débourser 15 millions d’euros de subventions pour le câble guyanais ?
Région à câbler
Dans l’espoir de convaincre les pouvoirs publics, censés prendre une décision d’ici au mois de mars, la collectivité guyanaise met en avant un autre argument, stratégique celui-là. Le projet public Guyalink répond au souhait du Cnes, le Centre national d’études spatiales, de mieux « sécuriser les échanges » entre le centre de Kourou et ses bases arrière en Europe en empruntant un itinéraire alternatif, qui évite les Etats-Unis. Maintenant que SpaceX concurrence Ariane, le Cnes ne veut pas se laisser barboter ses données…
Heu ?! On ne fait jamais confiance au support physique et on utilise le chiffrement de bout en bout, bon sang ! Y'a pas que la NSA américaine qui écoute sur les câbles sous-marins… La France en fait tout autant. Alcatel semble même avoir des compétences dans le domaine.
Données pas volées
La crainte d’opérations de déstabilisation n’a rien d’une lubie. Fin décembre, le chef d’état-major britannique a publiquement dénoncé les risques de voir la Russie sectionner des câbles et paralyser ainsi l’activité économique des pays de l’Otan. Des navires russes ont été repérés à plusieurs reprises aux abords d’installations sous-marines occidentales…
Pourquoi les russes plus que les autres ? Surtout que la Russie utilise les fibres optiques sous-marines des pays de l'UE…
Face à l’explosion du trafic Internet mondial, la pose au fond des océans de milliers de kilomètres de câble est désormais considérée comme une activité ultrasensible. Bercy a fait savoir à Nokia, le repreneur d’Alcatel, que la filiale Alcatel Submarine Networks devait conserver un ancrage français. Pas question de vendre a des Chinois cette pépite, qui vient justement de remporter le contrat de fabrication des câbles de Guyalink ! Google et Facebook déclarent vouloir relier Los Angeles à Hongkong.
Les opérateurs télécoms, Orange en tête, ont bien compris qu’ils n’avaient pas intérêt à se laisser couler…
Pour visualiser les fibres optiques sous-marines : https://www.submarinecablemap.com/#/ et http://cablemap.info/ . Plus d'infos sur ces câbles sous-marins par lesquels transite Internet : http://shaarli.guiguishow.info/?AZXRug (technique) et http://shaarli.guiguishow.info/?9kAT1g (géopolitique).
Dans le Canard enchaîné du 17 janvier 2018.