Les trois magistrats de la chambre sociale de la Cour de cassation qui ont eu les honneurs du « Canard » pour avoir un peu mélangé les genres (lire p. 3) n’ont vraiment pas de bol. A quelques mois près, ces dégourdis auraient pu rester anonymes et passer entre les gouttes. L’article 19 du projet de loi de réforme de la justice prévoit que les noms des juges (mais aussi ceux des greffiers, des avocats et des autres personnes physiques) pourront désormais être occultés dans les décisions de justice pénale ou administrative.
Plus question de savoir si tel ou tel juge est une « peau de vache », tel autre un piètre professionnel ou, au contraire, un magistrat compréhensif. Et impossible, bien sûr, de découvrir ses éventuels conflits d’intérêts…
Cette disposition, appliquée dans des pays aussi démocratiques que la Russie de Poutine, n’a qu’un précédent connu en France : les sections spéciales de sinistre mémoire mises en place par Vichy. Seule était alors rendue publique l’identité du greffier, du procureur et des avocats.
Aujourd’hui, les magistrats se remettent à rêver d’anonymat. Au nom de la « sécurité » et du « respect de [leur] vie privée ». Le Conseil d’Etat a bruyamment approuvé cette mesure, réclamée également par l’Union syndicale des magistrats (majoritaire). A croire que les juges n’ont plus aucune confiance dans l’Etat de droit et dans la loi qu’ils sont chargés d’appliquer…
Mais le gouvernement se montre bien trop timoré. « Le Canard » le proclame haut et fort : pour assurer pleinement la sécurité et la tranquillité des magistrats, la garde des Sceaux doit aller plus loin et ajouter un codicille à son projet de loi en imposant le port de la cagoule — voire de la burqa — dans toutes les audiences.
Ou remplacer les juges par des robots…
Cette revendication de l'USM fait suite à la loi pour une République numérique qui prévoit la publication des décisions de justice en Open Data (mesure toujours pas en vigeur car le décret correspondant n'a toujours pas été édicté).
Les décisions de justice sont rendues au nom du peuple, ça ne peut relever de la vie privée, tout comme le travail de tous nos élu⋅e⋅s et leur armada de conseiller⋅e⋅s… Ces gens-là travaillent au nom du collectif, au nom de chaque citoyen⋅ne. Que ces décisions soient publiées dans des revues spécialisées ou en Open Data ne fait pas de différence à mes yeux.
Entre les box sécurisés dans les salles d'audience qui nuisent à la défense, les audiences à distance d'une qualité sonore contestable qui nuisent à la défense et à la qualité des débats et maintenant ça, sale temps pour la justice… :(
Dans le Canard enchaîné du 25 avril 2018.