Arnaud Lagardere continue de vendre les pépites de son groupe pour essayer de le rendre — enfin — présentable aux yeux de ses actionnaires et de ses financiers. Dernière fournée en date ? Le 3 mai, il fera adopter par l’assemblée générale des actionnaires la cession de ses chaînes de télévision (Gulli, TiJi), de ses radios internationales ainsi que de la plupart de ses magazines (« Elle », « Télé 7 Jours », etc.). Ses radios en Europe centrale viennent d’être cédées pour 73 millions d’euros.
Seul rescapé de la grande braderie, selon son porte-parole, Ramzi Khiroun, l’« environnement sacré » de papa : Europe 1, « Paris Match » et « Le Journal du dimanche ». L’opération (censée être conclue à la fin de l’année — le temps presse !) devrait rapporter environ 500 millions. Officiellement, il s’agit de se défaire des activités les moins rentables pour investir dans les deux piliers du groupe : la distribution dans les gares et les aéroports ainsi que l’édition, deux domaines dans lesquels le sportif Arnaud est numéro 3 mondial.
A la découpe
Mais, dans ce jeu de bonneteau, les résultats ne sont pas à la hauteur des sacrifices. Le bénéfice net du groupe reste scotché aux alentours de 170 millions (comme au début des années 2000), et ce essentiellement grâce à la découpe du groupe par appartements. En 2017, les ventes de morceaux de l’empire ont représenté, comme en 2016, près de la moitié des profits. Le chiffre d’affaires, lui, s’est effondré : il n’est plus, en euros constants, que 44 % de ce qu’il était à la mort de Jean-Luc, en 2003. En 2017, le voici à son plus bas niveau historique : 7,1 milliards d’euros. « Il faut du temps pour moderniser des activités traditionnelles comme l’édition », plaide Khiroun.
Ça me rappelle le film « Pretty Woman ». Acheter en gros, revendre à la découpe, ça ne produit pas de valeur, ça coule des sociétés et des emplois, mais ça rapporte gros à quelques personnes. On peut aussi citer la présence de Bernard Arnault et du fond d'investissement Colony dans Carrefour, dont la volonté d'un retour sur investisement est l'une des causes de la vente puis rachat de Dia (filiale de Carrefour) et le licenciement massif actuel à Carrefour…
Juste une question de temps, vraiment ? C’est oublier les investissements désastreux d’Arnaud dans sa branche Sports & Entertainment, qui a englouti près de 1 milliard. Ou dans la presse, qui a « brûlé » près de 2 milliards.
Bonne action
Seuls les dividendes versés par la boîte continuent de bien se porter : nonobstant le résultat de l’année, ils restent invariablement fixés, depuis 2007, à 1,30 euro par action. En 2009, ils représentaient même près d’un dixième de la valeur boursière du titre — contre 4 %, en moyenne, pour les sociétés du CAC 40. « Une véritable rente », commente un boursier.
Pourquoi cette générosité ? Parce que Arnaud Lagardère est endetté à hauteur d’environ 250 millions — le chiffre exact est tenu secret — auprès des banques. Et que ses emprunts sont garantis par la valeur de ses quelque 10 millions d’actions. Si la cote de ces papiers tombait au-dessous de 25 euros — à 20 euros, par exemple —, la garantie ne serait plus que de 200 millions, et les banques réclameraient à Arnaud un « appel de marge » pour combler la différence, soit environ 50 millions à payer cash. Il est donc capital que l’action se tienne. En 2017 , le groupe distribuera en dividendes la quasi-totalité de ses profits. Rien à voir, bien sûr, avec une volonté du patron : « Ce sont les actionnaires qui, en assemblée générale, votent eux-mêmes le montant du dividende », explique Khiroun. Et le timide Arnaud ne fait que se plier à leur volonté. Admirable !
Dans le Canard enchaîné du 18 avril 2018.