Enfin une bonne nouvelle ! Elle concerne un pays de 100 millions d’habitants, dont on n’entend jamais parler, ou presque : l’Ethiopie. « Le figaro » (25/6) se réjouit : « L’Ethiopie s’ouvre enfin aux capitaux privés et étrangers. » Les industriels français sont sur les dents. Ainsi Bolloré et CMA CGM, qui « surveillent la situation attentivement ». En bons « acteurs de la logistique », ils sentent que l’import-export va exploser : navires, fret, trans- port maritime (l’Ethiopie n’a pas de façade maritime, mais tout passe par Djibouti), il y a « des opportunités » dans l’air.
Il faut dire que l’Ethiopie est dirigée depuis près de trente ans par l’EPRDF, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, « au lourd héritage marxiste », comme dit « Le figaro ». Que ce gouvernement se convertisse à l’économie de marché et entreprenne d’industrialiser le pays à marche forcée, voilà qui ouvre des perspectives.
La preuve : les Chinois et les Sri Lankais sont déjà là. C’est chez eux que l’Occident avait trouvé les salaires les plus bas de la planète et qu’il a longtemps tout fait fabriquer. Aujourd’hui, les anciens soutiers délocalisent à leur tour. Pour le plus grand profit de marques comme Guess, Levi’s et H&M…
Très présents en Ethiopie, relate « Courrier international » (14/65), les Chinois y construisent des usines ultramodernes où ils installent leurs machines et leurs petits chefs puis vont au fin fond des campagnes chercher des femmes, qu’ils mettent au boulot. Salaire de base : 25 dollars (21,50 euros) par mois. Imbattable. Vingt fois moins qu’en Chine ! Et c’est ainsi que l’Ethiopie « est en passe de devenir l’échelon le plus bas de la chaîne d’approvisionnement qui nous inonde d’une mode jetable ».
Certes, pour ces femmes, le travail en usine est une nouveauté. Pas très agréable : « Elles n’ont qu’une demi-heure pour déjeuner. Elles ont mal au dos. Elles sont épuisées. Ces boulots rendent tout le monde malade. » Pire, comme le note un DRH venu du Sri Lanka, « l’Ethiopie n’a jamais été colonisée. Les gens en sont fiers, ce qui engendre certaines résistances ».
Certes, ça ne rigole pas : une jeune Ethiopienne diplômée explique avoir sombré dans la dépression durant les six semaines qu’elle a passées à surveiller 40 femmes travaillant sur une ligne de production de pantalons : « Chaque fois qu’une ouvrière n’atteignait pas l’objectif fixé, les chefs lui hurlaient dessus. » Les révolutions industrielles n’ont jamais été une partie de plaisir. Surtout menées par la Chine, dont le modèle industriel et consumériste a trouvé en Afrique de quoi assurer ses besoins colossaux et toujours croissants de matières premières et de produits manufacturés.
Mais rassurons-nous : acheter pas cher la dernière fringue à la mode, c’est faire un geste humanitaire en faveur de l’Ethiopie, berceau de l’humanité et de l’australopithèque Lucy. Non ?
Dans le Canard enchaîné du 4 juillet 2018.