Les hostos parisiens ont noté avec zèle le nom des blessés de certaines manifs.
Les hôpitaux parisiens fichent-ils les blessés qui débarquent aux urgences pendant les manifs des gilets jaunes ? La réponse, en dépit des cris d’orfraie de leur direction, est oui. Le patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, l’a pourtant assuré, main sur le cœur, dans « Libération » (14/4) : « On peut faire remonter le nombre de blessés dans le cadre des manifestations, mais on ne transfère rien de nominatif. »
Ça crève les yeux ! Comme le prouve le document ci-contre, la direction générale de l’AP-HP a bel et bien transmis, le 16 mars, la consigne à tous les hôpitaux de la capitale d’inscrire les « identités » des blessés — et pas seulement leur nombre — dans un fichier, baptisé SI-VIC, qui se balade jusqu’au ministère de l’Intérieur…
Instructions SI-VIC
Mis en place après les attentats de 2015, ce fichier devait faciliter le décompte et l’identification des victimes d’attentat. Mais l’article de loi voté en décembre 2016 ratisse beaucoup plus large et évoque « une situation sanitaire exceptionnelle ». D’ailleurs selon la Direction générale de la santé (DGS), le fichier a déjà servi « plus d’une centaine de fois », lors de l’ouragan Irma ou des accidents de bus scolaire.
« Activer ce fichier pendant des manifs à caractère social, c’est une dérive grave et une menace pour les libertés individuelles », dénonce au « Canard » Christophe Prudhomme, le porte-parole des médecins urgentistes (Amuf).
Ce mail du samedi 16 mars à 17 h 15 a été adressé par l’« administrateur de garde » au siège des hostos parisiens, à tous ses homologues — des cadres de permanence dans chaque hôpital. En copie du courriel figuraient plusieurs huiles du siège : Anne Rubinstein, directrice de cabinet de Martin Hirsch, ou encore Arnaud Poupard, son « conseiller pour la sécurité ». Outre le décompte des victimes en « UA » (urgence absolue) et en « UR » (urgence relative), le mail rappelait bien — en gras et souligné — la nécessité d’inscrire les noms dans le fichier SI-VIC.
Buzyn : pas de buzz !
« C’est un scandale ! On n’est pas la pour fliquer et dénoncer des gilets jaunes », s’insurge le docteur Gérald Kierzek, urgentiste et chroniqueur sur LCI, qui, un mois après le mail, a relancé la polémique dans un tweet rageur daté du samedi 13 avril, alors qu’il était de garde à l’Hôtel-Dieu. « Consignes à l’instant d’appeler l’administrateur de garde si patients #Gilets Jaunes aux urgences… Et puis quoi, encore (…) ?»
Déjà, selon Mediapart (11/1), la DGS avait activé le dispositif SI-VIC lors des manifs des gilets jaunes des 8 et 15 décembre. Mais elle avait dégonflé la polémique en assurant que, en vertu d’un décret de mars 2018, les flics avaient accès au fichier « uniquement (…) en cas d’attentat ». On est prié de le croire sur parole. Car, en réalité, ce décret, signé par Edouard Philippe, ne fait pas la distinction entre les cas et ouvre grand les vannes : « Les agents des agences régionales de santé, du ministère de la Santé et des ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères (…), habilités à cet effet par leur directeur, sont autorisés à accéder aux données (…) dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à l’exercice des missions qui leur sont confiées. » Une vraie passoire !
L'AP-HP, elle, répond au « Canard » que ce dispostif « respecte le secret médical » et a fait l’objet d’une « déclaration à la Cnil » en décembre 2017.
Le plus farce, c’est qu’après cette première alarme Agnès Buzyn avait juré, le 7 février sur Europe 1, qu’un tel fichage relevait de la fiction. Elle répondait, ce faisant, à une tribune signée par une centaine de personnalités qui exigeaient que le ministère de la Santé publie le « vrai chiffre » des gilets jaunes blessés. Impossible de le déterminer, avait rétorqué Buzyn : « Je ne demanderai jamais aux soignants de ficher les malades qui arrivent ! »
En effet, ce ne serait vraiment pas civique…
Dans le Canard enchaîné du 17 avril 2019.