Il est pas passé par ici, alors il essaie de repasser par là. Le livret scolaire unique numérique reprend les mauvaises idées de fichage de Base élèves retire après une tempête de protestations en 2008. Eten rajoute une couche.
Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale sous Sarkozy, avait dû faire marche arrière en 2008 sur le logiciel Base élèves dénoncé comme une tentative de « fichage de nos élèves ». Ce programme, considéré comme un « outil professionnel au service de la gestion quotidienne des écoles », devait, entre autres, permettre de collecter des informations sur la nationalité et sur « l’origine raciale ou ethnique » des enfants. Cette affaire avait cristallisé les colères des parents d’élèves, des syndicats et de la Ligue des droits de l’homme…
Comme un rhizome de bambou contre lequel vous ne pouvez rien, l’idée de collecte d’informations est revenue huit ans plus tard sous le nom de Livret scolaire unique numérique (LSUN). Obéissant principalement à une logique d’adaptation du système éducatif aux besoins de l’économie, il remplace le carnet de correspondance du CP jusqu’en 3e et recueille les notes, les observations et les informations concernant l’enfant comme le comportement, la santé ou les origines ethniques (on y revient). Le parcours complet de l’enfant est ainsi stocké sans réelle garantie d’être effacé. Les données seront accessibles sur simple demande par les maires, la police et la justice sous couvert du secret professionnel partagé. Elles le seront aussi potentiellement par interconnexion de fichiers à toutes les administrations. En tant que parent, il existe un moyen de protéger son enfant du fichage compulsif : stipuler son refus par une lettre simple que le Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE) vous met à disposition sur son blog. Isabelle S., mère d’un garçon de 6 ans, l’a recopiée et envoyée à la directrice de l’école de son fils. « Elle nous a convoqués et nous a bien assurés que les enseignants de l’école n’y inscrivaient que les données basiques et rien d’autre. Car eux aussi se posent beaucoup de questions. Nous étions les seuls parents de l’école à s’être inquiétés de ce fichage méthodique. » Florence est professeur des écoles et membre-formatrice du CNRBE. Pour elle, rien d’étonnant à ce que les parents n’agissent pas : « Aucune information n’est transmise. La logique est simple : pas d’infos, pas d’opposition. » Elle raconte le cas d’un élève rwandais a Nantes arrivé seul d’Afrique. Sa famille d’accueil voulait l’adopter. Mais à la place d’un titre de séjour, il a reçu à sa majorité une obligation de quitter le territoire à cause d’une « absence de motivation » notée quelques mois plus tôt. « La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui doit normalement jouer le rôle de garant des libertés n’a plus ce pouvoir dès que les fichiers sont créés. Le ministère fait sa tambouille avec elle. La Cnil cogère pour rendre réglementaire une situation qui ne l’est pas », confie Jérôme, fondateur du CNRBE. La France a été sermonnée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies dans un rapport datant du 4 février 2016 qui s’inquiète de « la multiplication des bases de données, de conserver et d’utiliser sur de longues périodes les données personnelles des enfants et le fait que les enfants et leurs parents ne sont pas suffisamment informés par l’Éducation nationale de leurs droits d’opposition. » Tout est dit.
Annuaire pour GAFAM
Mais on vous a gardé le meilleur pour la fin. Les autorités seraient prêtes à transférer l’ensemble des annuaires académiques aux fameux Gafam (Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft) ! Mathieu Jean-dron, directeur du numérique pour l’éducation, a envoyé une missive aux directeurs académiques pour « confirmer qu’il n’y a pas de réserve générale sur l’usage des outils liés aux environnements professionnels chez les grands fournisseurs de service du Web (Gafam et autres) […] » En d’autres termes, les grandes multinationales du numérique pourront donc puiser à leur guise dans les données personnelles des élèves et des enseignants. George Orwell écrivait dans son roman 1984 : « Vous ne possédez rien, en dehors des quelques centimètres cubes de votre crâne. » À nous de les utiliser…
Dans le numéro de janvier 2018 de Siné mensuel.