Dans le monde du tennis, un sport de gentlemen, il y a les stars, qui passent à la télé et gagnent des millions sur la pelouse de Wimbledon ou la terre battue de Roland-Garros, et puis il y a les autres, qui tapent la balle dans les gymnases de Bressuire, gagnent des clopinettes et finissent au poste de police.
Classés entre la 200e et la 600e place mondiale, ces forçats de la raquette rament dans les tournois secondaires de la planète pour ramasser quelques centaines d’euros qui leur paient à peine le voyage et l’hôtel. Ce petit monde-là se divise encore en deux catégories : ceux qui acceptent entre 1 000 euros et 10 000 euros pour perdre un point, un set ou un match, sous la pression des mafias des paris en ligne, et ceux qui refusent, menaces à la clé.
Depuis que la tentaculaire affaire de matchs truqués a éclaté à Bressuire, il y a quinze jours, les témoignages édifiants sur cette violence planquée pleuvent comme des smashs. La copine du Belge Yannick Mertens, 522e joueur mondial, reçoit de doux messages sur son compte Facebook après les défaites de son compagnon (TF1, 19/1) : « Ton copain Mertens, je vais lui casser les jambes et la tête ! » Le Français Hugo Nys, 434e à l’ATP, décrit son quotidien réjouissant (« L’Equipe », 16/1) : « On te dit qu’on va violer ta copine, qu’on te souhaite d’avoir un cancer. C’est incroyable, on subit ça et personne ne fait rien. »
Même régime chez les filles, avec Constance Sibille, que des gugusses ont accostée lors d’un tournoi en Roumanie, il y a cinq ans déjà, alors qu’elle était 265e mondiale (« L’Est républicain », 18/1) : « J’ai déjà reçu des menaces de mort parce que j’avais fait perdre de l’argent à des parieurs. C’est devenu banal. » Pour Marine Partaud, 417e mondiale (« L’Equipe Magazine », 2/11/18),ça continue : **« On est sûres de recevoir des messages horribles, des injures, des menaces de mort, toutes les semaines, sur tous les tournois (…). C’est dangereux pour notre sécurité (…), ils commen- cent à venir nous menacer. On va attendre qu’une joueuse se fasse tabasser pour réagir ? »
A part mettre des vigiles sur tous les terrains, la réaction risque de se faire attendre, vu le fonctionnement des paris en ligne sur ces matchs secondaires, interdits depuis la France mais autorisés partout ailleurs. Le joueur Hugo Nys résume bien l’absurdité du système : « Comment ça se fait qu’un mec puisse parier en Ouzbékistan sur un premier match de qualif en Turquie ? »
C’est le monde merveilleux du blé et de l’Internet…
Dans le Canard enchaîné du 23 janvier 2019.