Suite de En Chine, ne bouge pas une oreille.
« Les gens de confiance peuvent marcher tranquillement sous les cieux, ceux qui ne sont pas dignes de confiance ne peuvent pas faire un seul pas. » Voilà ce qu’on peut lire au fronton de la mairie de Suqian, une ville de 4,7 millions d’habitants située entre Pékin et Shanghai. Ce n’est pas un voeu pieux, c’est devenu la stricte réalité.
Prenons le cas de M. Jiang, habitant de Suqian. M. Jiang n’est pas digne de confiance, il a traversé au vert, le 3 mai, au croisement de la rue du Lac-de-l’Ouest et de l’avenue du Peuple. Depuis, raconte « le Monde » (16/6), son visage a été affiché sur des écrans à des dizaines de carrefours. Non seulement M. Jiang est désigné à la vindicte populaire comme un mauvais citoyen, mais en plus il a perdu 20 points sur sa note de confiance, qui en comptait originellement 1 000. Après l’enquête des « Echos », dont « Le Canard » avait rendu compte la semaine dernière, celle du « Monde » apporte de nouveaux éléments à charge dans la description de la frénésie de contrôle qui s’empare de la Chine. Pour se racheter, comme M. Jiang va être amené à le faire, on peut donner son sang, ce qui rapporte 50 points, ou obtenir, grâce à un comportement exemplaire, la distinction de « travailleur modèle », aussi gratifiante. En fonction des points dont on dispose, on peut avoir un accès prioritaire à l’hôpital ou une réduction sur sa carte de transports publics.
L’enquête décrit une société où chacun se méfie de l’autre. Selon un spécialiste, les notes de moralité, rendues publiques, permettraient de rétablir cette fameuse « confiance », brisée depuis l’entrée dans le capitalisme.
Rétablir la confiance par la défiance, vaste programme, comme aurait dit le Général !
En voilà un endroit où il fait bon vivre !
Dans le Canard enchaîné du 20 juin 2018.