Les délits d'injure et de diffmation, dont le deuxième sert trop souvent à entraver les journalistes qui font leur boulot, doivent-ils êtres sortis de la loi sur la liberté de la presse ? Quid de la garantie des droits des citoyens et des journalistes ? Quid de l'octroi, au pouvoir exécutif d'une main mise sur les médias par le biais des procureurs ?
Quelle mouche a piqué Nicole Belloubet ? Il suffit que des députés, une association ou quelques magistrats émettent une proposition incongrue sur la liberté de la presse pour que la garde des Sceaux la prenne au sérieux, donne une interview au « JDD » (16/6) et demande à la Commission nationale consultative des droits de l’homme de plancher sur la question.
Avec quelques-uns de ses collègues LR, le député Eric Ciotti a déposé un amendement à une proposition de loi LRM pour « lutter contre la haine sur Internet » qui doit être discuté ces jours-ci au Parlement. Au nom de la lutte contre le racisme, ces élus envisagent de passer à la moulinette la loi de 188l sur la liberté de la presse.
Reprenant une suggestion de la Licra, Ciotti et ses amis réclament que les injures diffusées par voie de presse (ce qui inclut les réseaux sociaux) ne relèvent plus de la loi de 1881 mais des procédures ordinaires. Dans une tribune parue dans « Libération » (6/6), la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault, réclame qu’il en aille de même pour la diffamation.
Autant dire qu’il ne resterait presque plus rien du texte fondateur sur la liberté de la presse. Contrairement à ce que suggèrent Belloubet, Ciotti et des juges déboussolés, la loi de 1881 n’assure aucune impunité aux excités du clavier. Elle se contente de poser un cadre strict qui permet de savoir si les propos en question relèvent de l’injure ou de la diffamation, de vérifier — le cas échéant — l’exactitude des faits rapportés et de s’assurer de l’absence de volonté de nuire de leur auteur.
Pour comprendre intégralement ce point, il faut se souvenir, qu'actuellement, les parquets se contentent d'effectuer des vérifications de forme (le délai de prescription est-il dépassé ? : les propos litigieux sont-ils cités dans la plainte ? etc.) avant de renvoyer systématiquement les plaintes devant un tribunal (dit autrement : la mise en examen est systématique). Cela permet à des juges indépendants de prendre le temps de la réflexion, d'étudier les pièces des uns et des autres, et d'émettre un jugement dont la finesse est requise par la subtilité des propos humains, tout simplement.
Il est vrai que les tribunaux prennent leur temps pour juger ce genre d’affaire (il faut compter plus d’un an à Paris)… Mais la loi de 1881 n’est pas responsable du manque de moyens accordés à la justice. Cette pénurie chronique pousse depuis des lustres les ministres et les hauts magistrats à vouloir alléger sans cesse des procédures censées garantir les droits des justiciables…
Traiter les délits de presse comme s’il s’agissait de délinquance ordinaire reviendrait, de surcroît, à octroyer aux procureurs — qui ne sont pas indépendants — un pouvoir exorbitant sur les médias. Cette réforme donnerait au parquet la possibilité d’engager lui-même des poursuites sous prétexte de diffamation ou d’injure.
La loi de 1881 avait sagement réservé ce droit aux seules victimes, histoire de limiter les pressions du pouvoir sur la liberté de la presse. Sûrement une vieille lune…
Dans le Canard enchaîné du 19 juin 2019.