Je n'aime pas le concept de résolution de nouvelle année, mais, des fois, il faut un point de départ incitatif. J'ai décidé de réduire drastiquement ma lecture de la presse, le nombre de flux RSS que je suis, et le nombre de listes de discussion auxquelles je suis abonné. La raison, en quelques mots : bruit inutile, perte de temps et d'énergie.
Mon abandon des listes de discussion est le plus simple à expliquer. Comme une partie de mes flux RSS, les listes me permettaient de faire de la veille sur des sujets techniques, organisationnels, juridiques, etc. dans mon domaine de compétence (l'administration des systèmes et des réseaux informatiques). Sauf que mes différents emplois, autant dans le privé que le public, m'ont appris la dure vérité : quand t'es salarié, c'est le chef, le patron, qui décide quel logiciel on utilise, comment on s'organise, qu'on se torche avec la loi, etc. T'as juste rien à dire. Tu peux suggérer, ça passera à la trappe. La veille ne sert à rien : si elle met en évidence que le logiciel X serait plus adapté aux besoins mais que ton dirlo revient d'un séminaire dans lequel ses copains dirlos lui ont dit que le logiciel Y dépote alors qu'ils n'œuvrent pas dans le même contexte (nombre d'utilisateurs, moyens humains et financier à y consacrer, fonctionnalités désirées, etc.), le logiciel Y te sera imposé, même s'il est merdique. Pareil pour l'organisation du travail. Si t'es indépendant, tu feras ce que le client veut afin de le conserver. J'ai un joli bac+5 en informatique, mais, contrairement à ce qu'on t'apprend en cours, je n'ai jamais collecté les besoins de nos usagers ou clients, ni fait un choix comparatif des différentes solutions, ni conçu une solution adaptée. Tout m'a été imposé. Systématiquement. Quoi qu'il en soit, la veille doit de toute façon s'exercer dans le cadre professionnel et sur le temps de travail, donc pas sur mon temps libre, avec mon adresse emails perso. À titre subsidiaire, les trolls, notamment la tradition du trolldi (troller chaque vendredi) me sont aujourd'hui insupportables (et dire qu'on est sur des listes qui regroupent des professionnels qui ont dépassé la cinquantaine, hein).
Concernant la presse, rien n'a changé depuis mon bilan du printemps 2020, donc il est temps d'en tirer les conclusions et d'agir. Pour le dire vite, j'en ai assez d'être pris pour un con, et j'en ai marre des trolls, c'est-à-dire des sujets, de droite comme de gauche, qui reviennent encore et encore sans rien faire avancer. Plus précisément :
- L'essentiel des articles sont inutiles. Telle personne a tel problème (ex. : le cuisinier de Dior) : c'est à elle de gérer (il est aux Prud'hommes), il y a des collectifs pour ce faire. Si je suis intéressé par une thématique, je rejoindrai un collectif, et je n'aurais alors pas besoin de la presse pour être informé. Tout ce qui tourne autour d'infractions présumées : très bien, il y a des juges et des assos spécialisées. Il y a tellement d'infractions présumées partout que tu peux pas éviter une entité, comme une société commerciale ou une administration, au motif que la presse rapporte une infraction. Dès lors, l'info sert à rien. Le fait que la presse serait nécessaire ici met surtout en exergue le dysfonctionnement de la justice, de l'aide aux lanceurs d'alertes, etc. Parler de la vie des puissants, de l'opinion d'untel (président de parti politique, par ex.), de la dernière phrase d'untel (Macron, par ex.), tout personnifier, tout ramener à Macron, Arnault, et à quelques autres, ça va bien. À partir d'un seul cas, comme un gamin harcelé à l'école ou qui meurt à l'hosto, on te monte en épingle un problème systémique nouveau sans chiffre ou autre élément pour l'étayer alors que ça existe depuis la nuit des temps. Un GAFAM maltraite nos données à caractère personnel : sans dééééc' ?! Où est la nouveauté ? Macron est de droite. Ses gouvernements aussi. Sans déééc ?! Bref, la presse ça revient à filer des morceaux d'infos à des gens qui ne sont pas concernés par le sujet et qui n'en feront rien (ou alors de l'indignation au bistro ou sur les réseaux sociaux, ou de la pétition stérile…). Beaucoup de ce que tu liras ne s'appliquera jamais à toi, et en tout cas pas tel quel, car ton parcours de vie est différent ;
- L'essentiel des articles sont incomplets et/ou superficiels et/ou inexacts et/ou excessivement sûrs de la solution qu'ils proposent. Vulgarisation à outrance. Le journaliste te donne juste ce qu'il a envie pour t'énerver, pour que tu t'indignes, pour rendre un sujet scandaleux afin de doper son audience (on peut accuser les mézants pas gentils pas beaux réseaux sociaux numériques, mais la presse a fait et fait tout pareil). Alors que toute personne qui s'est déjà retrouvée au cœur d'une prise de décision, que ce soit dans le professionnel ou l'associatif, sait qu'une décision a été prise dans un contexte comprenant trouzemilles contraintes, que le choix a été difficile, qu'il n'y avait pas malveillance à la base mais que tous les effets de bord n'avaient pas été anticipés, etc. D'ailleurs, dans le monde pro ou asso, quand une personne râle, on lui expose l'ensemble des contraintes, et elle se taît ou se retranche derrière un vague « on aurait pu faire autrement » (c'est donc bien une occultation d'une partie des données du problème qui génère un sentiment de mauvaise décision, de magouille). Pas facile de proposer autre chose, hein. Le comportement de la presse ne forme pas des citoyens, juste des râleurs. Regarde le grand nombre de corrections que j'ai apportées en republiant sur ce shaarli des articles de presse (derniers exemples en date, déjà en 2020)… Et pas seulement dans mon domaine de compétences (numérique, tout ça). Quand je me suis retrouvé au cœur d'événements par la suite relayés par la presse, comme le mouvement social contre la réforme des retraites 2023 ou le procès de militants écolos qui avaient dégradé une agence bancaire, j'avais envie de pleurer tellement les articles étaient à mille lieues de la réalité. Dans un cas, le journal avait collecté le point de vue des parties en présence sans vérifier les faits, sans chercher la vérité, donc l'article apprenait rien au lecteur à part qu'il y a un différend entre des parties. Dans l'autre, la presse s'indignait qu'il n'y ai pas eu de procès politique, c'est-à-dire que les juges aient agi conformément à la stratégie juridique des militants écolos qui avaient décidé… d'accepter la CRPC, de ne pas faire de procès politique, afin d'espérer une sanction plus clémente ;
- J'ai autre chose à faire que de lire plusieurs journaux afin de vérifier les faits, de croiser les points de vue, d'autant que tous les journaux se copient ou copient la dépêche AFP (ou autre), exposent le même aspect, le même angle d'un sujet, et proposent donc le même niveau d'information (ex. : bon courage pour obtenir des informations sur le volet vidéosurveillance de l'affaire Benalla). Je pourrais aussi parler des mêmes écrivains qui font le tour de tous les journaux de gauche genre Mediapart, Blast, Le Média, Au poste, etc. J'attends de la presse qu'elle me présente objectivement les faits avant de dérouler éventuellement son interprétation et la solution qu'elle propose. J'ai autre chose à faire que de remonter aux sources pour vérifier, d'autant qu'elles sont très rarement référencées précisément par un journal, même quand il s'agit de documents publics librement disponibles, ce qui rend fastidieuse leur recherche ;
- Tout m'apparaît insupportable. La gauche gueule en boucle à l'extrême-droite, au fascisme, à l'islamophobie, au fait que Macron est un droiteux (sans dééééc' ?!), etc. La droite gueule en boucle au wokisme, à l'antisémitisme, à l'ordre, à la lutte contre l'immigration, etc. Le tout dans un emballement permanent. Une surenchère permanente. Un sujet chassant l'autre. C'est lourd. C'est déplaisant. C'est stérile. Je m'en cogne ;
- La presse ne cherche pas à émanciper, à élever son lectorat, à le mettre en capacité de comprendre, de débattre, d'agir. Elle n'explique rien, ou uniquement ce qui permet de faire de la mousse. Pas de suivi sur le temps long (exemples : peu de journaux ont informé de la fin judiciaire dans l'affaire Benalla en proportion du raffut initial ; le Canard enchaîné qui dénigre Mariani avant les élections régionales de 2021 mais qui ne relaye pas les jugements en sa faveur qui ont suivi), mais quel radotage jusqu'à la nausée autour de quelques sujets ! Je constate cela dans plusieurs thématiques : numérique, nucléaire, droit, etc. Tout semble être fait pour faire peur et/ou pour susciter une indignation stérile, une impuissance. Dernier exemple en date : le traitement médiatique du procès des viols de Mazan était affligeant. Tel avocat a dit ça à la barre, c'est indigne ! Non, c'est sa fonction. Les juges ont décidé de séparer le prononcé des culpabilités de celui des peines, scandale ! C'est ainsi tout le temps. Remettre en doute la parole de la victime, c'est scandaleux ! C'est comme ça que fonctionne un procès : s'il fallait croire toutes les victimes de tout au motif qu'elles sont victimes, il n'y aurait plus besoin de justice, et toute accusation vaudrait condamnation. Supposer que la victime pouvait être consentante, quelle horreur, quelle indignité ! Dans un procès, il y a plusieurs interprétation des faits qui s'affrontent violemment, c'est le jeu, et le consentement est l'un des critères qui rend caduque la qualification de viol, donc forcément que ça allait être examiné. Etc… Tout cela aurait pu être expliqué, posément. De rares fois, des journaux exposent un concept, une procédure, etc. que chaque citoyen peut utiliser dans ses propres démarches (ex. : la communication de documents et d'informations par les administrations), mais c'est très rare. Là encore, ça mettrait le citoyen en capacité d'agir sur plein de sujets. La presse pourrait informer sur les droits des citoyens, sur les recours, sur des analyses des projets de loi (et pas seulement ceux qui concernent la presse, hein), sur des décryptages pédagogiques des évolutions technologiques, juridiques, etc. ;
- À mes yeux, détenir une information sans en faire usage (si on l'estime nécessaire), ne sert à rien, autant ne pas l'avoir. Or, seul ou en collectif, on n'arrive pas à faire fléchir ce qui ne va pas, à améliorer les choses. Trop d'inertie. Trop de gens sont ignares, donc celui qui s'informe et qui réfléchit à l'état du monde passe pour un hurluberlu, un chieur, et ses analyses ne servent à rien, il est condamné à l'impuissance, à l'inaction, donc il a perdu son temps à s'informer. Trop de gens ne veulent rien changer. Trop de gens veulent des petites corrections stériles plutôt que de gros changements : on ne va pas remettre en cause le capitalisme, juste opérer quelques ajustements par-ci, par-là ; on va faire varier le taux d'imposition pour telle frange de la populace sans discuter de l'usage, de la corruption, du dysfonctionnement structurel des services publics (donner plus de thune sans changer de cap, ça donnera encore plus de petits chefs armés de tableurs, d'indicateurs, etc. qui feront de la merde) ; on va prendre à Pierre pour habiller Paul et quand les gémissements de ce dernier seront trop pénibles, on reprendra un peu à Pierre et un peu à Jacques, puis… Bref, puisqu'on ne veut pas des vraies solutions, tenter des choses nouvelles et radicales, alors on est condamné à geindre en lisant la presse alors que les problématiques auxquelles nous devons faire face, individuellement et collectivement, ne sont pas nouvelles ;
- Je commence à avoir fait le tour des problèmes de notre monde, de leur origine, et des prétendues solutions de droite et de gauche. Recolter, via la presse, des exemples en plus que tel GAFAM nous maltraite, que telle société commerciale ou administration maltraite ses salariés / agents, que tel politicien est corrompu, etc. ne convaincra personne d'agir. Bref, je suis lassé. Une fois que t'as pigé les grandes lignes directrices, tu sais classer les problèmes, et tu sais aussi que, toute façon, les gens n'y appliqueront que des mini-corrections qui déporteront le problème ailleurs, encore et encore ;
- Avant, je prétendais m'informer afin d'anticiper la merde qui me tomberait dessus. En réalité, ce comportement est inutile. Il a pour conséquence de nous faire flipper pour rien. Un exemple ? La réforme des retraites de 2019/2020, qui se voulait être un passage de la répartition à la capitalisation, n'a pas été mise en œuvre (à cause du Covid, dit-on). Fin 2022, j'étais censé être concerné par une réforme à venir, alors, qu'au final, non, et c'était prévisible pour quiconque connaissait la loi (mais la presse ne m'en avait pas informé). Si t'es pas concerné par un changement, alors l'info ne sert à rien. Si t'es concerné, alors tu le sauras au moment venu. La presse, c'est comme les employés qui s'interrogent sur les changements préparés par le boss alors qu'ils n'ont pas encore été présentés aux instances représentatives du personnel, qu'ils sont donc encore en maturation : du brouhaha, des rumeurs, le tout en permanence et à grande échelle.
- Même la presse en ligne dite alternative (la presse populaire est gorgée de publicité, donc j'en parle même pas) ne met rien en œuvre pour respecter la vie privée des lecteurs. J'ai prévenu en 2020 (voire en 2018 pour certains), aucune amélioration, bien au contraire (idem pour le nouveau site web de Fakir). Je parle même pas de la durée de conservation excessive des journaux des serveurs informatiques (et donc de quelle adresse IP et terminal a consulté tel ou tel article)…
Concernant mon abandon d'un grand nombre de flux RSS, il s'agit d'un cumul des raisons déjà exposées. D'une part, ceux qui servaient ma veille "professionnelle", dont j'admets désormais qu'elle est vaine, deviennent inutiles. De l'autre, les trolls en boucle (Microsoft = caca, merdification, IA = caca, Musk partout tout le temps, financer aveuglément les services publics, etc.) et le relayage sans prise de recul, sans mise en perspective, voire sans contexte, sans dire en quoi la ressource pointée est utile. Sur nos sites web, nous devrions causer de ce que nous faisons, de ce à quoi nous réfléchissons, pas relayer des articles de presse, pas relayer la voix de nos maîtres. J'ai plus de 1 800 articles non-lus par mois, j'ai autre chose à faire qu'à les lire, à y prêter attention, à y réfléchir, etc. alors que, comme la presse, ça ne servira à rien, n'aura aucun impact. Tout ça pour une minorité de sujets (je reste ignare de l'écrasante majorité d'entre eux)… Autant être ignorant de tout (quelle raison objective y a-t-il à recevoir de l'info sur tel sujet plutôt que sur tel autre, si ce n'est un choix arbitraire basé sur l'intérêt ?).
En conclusion, la presse, les listes de discussion, et les flux RSS, ça intoxique, ça nous hypnotise pendant que nos vies défilent, tic, tac. Le temps qu'on y consacre n'est pas dédié à faire, à construire, à des activités actives, créatives, à de la réflexion sur le temps long, de l'émerveillement, etc. Même les journaux différents ne servent à rien : Fakir qui me relate la vie de Ginette, je m'en cogne, au fond, je n'ai pas la même vie, pas les mêmes contraintes, les lire est toujours du temps perdu, ça ne me profitera pas. Bref, ma vie défile, et je ne souhaite pas laisser autrui me l'accaparer, presse ou congénères.