Au mois quatre magistrats — sur une vingtaine — appartenant au pôle financier de Paris ont déclaré à la Chancellerie ne plus être en capacité d’instruire certaines affaires. Et non des moindres : celles sur les activités de Lafarge en Syrie, sur les emplois fictifs au MoDem ou sur les assistants parlementaires du FN. La faute, selon eux, à un turnover de greffiers trop important.
« Depuis septembre, j’en ai vu passer quatre dans mon cabinet, témoigne l’un des juges grognons. Il est impossible dans de pareilles conditions de travailler sereinement et efficacement. Nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur qui pourrait compromettre l’avancée d’un dossier. »
Pour un autre magistrat, ce retard à l’allumage est voulu : « Il y a quelques mois, je n’osais l’imaginer. Je croyais que le problème provenait des ressources humaines. Mais, depuis le temps que ça dure, j’en suis certain, cette fois : on emmerde trop la Chancellerie. » Traduction : la direction du ministère de la Justice ne souhaiterait pas que certaines affaires aboutissent rapidement…
Un avis que n’est pas loin de partager Marie Dosé, avocate de l’association Sherpa dans l’affaire Lafarge : « Un cabinet sans greffier ouvre la voie à toutes les irrégularités. Dans un dossier sensible, aux enjeux importants, la défense est nécessairement à l’affût de la moindre erreur procédurale susceptible d’entraîner la nullité d’un pan important de l’instruction. » Faut bétonner !
Novices de procédure
Du côté des greffiers, on ne minimise pas le risque. « Nous sommes en sous-effectif chronique, avance Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France. Pour un corps de 10 000 fonctionnaires, il en manque au moins 500. » La situation est d’ailleurs plus préoccupante encore dans la capitale, où sont instruits la majorité des dossiers « sensibles » du moment.
Les postes attribués en sortie d’école — sans expérience de l’instruction, donc — sont majoritairement parisiens. Mais, après leurs deux années obligatoires au sein de la même juridiction, les jeunes greffiers, payés autour de 1 500 euros en début de carrière, filent vers la province. Question de pouvoir d’achat, évidemment…
Les greffiers jaunes, c’est pour bientôt ?
Dans le Canard enchaîné du 2 janvier 2019.