La start-up qui avait payé un remède 13 millions d’euros au Téléthon a été rachetée illico 7,7 milliards par le laboratoire suisse Novartis !
C'est le médicament le plus cher du monde : 2,1 millions de dollars (1,86 million d’euros) pour le Zolgensma, qui vient d’être autorisé aux Etats-Unis et débarquera bientôt en France, à un prix forcément dément. Pour Novartis, qui fabrique ce médoc destiné a combattre une grave maladie génétique des nourrissons, cela ressemble au casse du siècle : à en croire les analystes, ce remède devrait lui rapporter 2 milliards de recettes par an. Mais le plus dingue, comme l’a raconté le site de « L’Express » (3/6), c’est que cette thérapie génique a été largement inventée, en France, par le Généthon, le laboratoire de recherche du Téléthon, qui a cédé son brevet pour une bouchée de pain. Bref, cette montagne de profits est due à la générosité publique ! Cocorico ! Ou plutôt cocori-con…
Avec des chercheurs de l’Inserm, le Généthon a travaillé des années sur l’amyotrophie spinale, qui paralyse les muscles et le système respiratoire des bébés. L’équipe a découvert que l’injection d’un certain « vecteur viral » pouvait corriger le gène défaillant. « On a déposé des brevets pour se protéger, mais, à partir de la, les découvertes deviennent publiques, expligue Laurence Tiennot-Herment, la présidente de l’AFM-Téléthon. Les données sont publiées dans la littérature scientifique et dans des congrès. La compétition s’ouvre, et c’est le plus rapide qui gagne. » Le mieux financé, surtout… Car l’étape suivante coûte une fortune. Alors que le Généthon avait dépensé « de 12 à 15 millions d'euros » afin de mener ses recherches sur des souris, une start-up américaine, Avexis, a levé 500 millions de dollars pour réaliser des essais cliniques et finaliser l’invention, permettant d’éviter la mort aux bébés. A ce stade, la jeune pousse américaine n’a pas encore besoin de détenir le brevet français.
Culbute du siècle
Le 8 mars 2018, le Généthon, hors course, cède les droits de son brevet à Avexis pour 15 millions de dollars (13,3 millions d’euros), auxquels s’ajoutent entre 3,75 et 5 % de royalties. Une paille, vu la suite du feuilleton ! Un mois plus tard, le 9 avril, la start-up — qui n’a que le Zolgensma dans sa corbeille de mariée — est rachetée par le géant suisse Novartis pour… 8,7 milliards de dollars (7,7 milliards d’euros) ! « On s’effondre dans son fauteuil en découvrant des montants pareils ! » s’indigne Alain-Michel Ceretti, le président de France Assos Santé, qui fédère les associations de patients. Au bout de la spirale, le prix du médicament est totalement déconnecté de son coût de recherche-développement. En fait, il l’est tellement que Novartis propose aimablement aux assureurs américains (qui jouent, outre-Atlantique, le rôle de la Sécu) d’étaler le paiement de chaque médoc sur cinq ans !
Pour la France, c’est une réussite sur toute la ligne : non seulement la découverte lui. échappe, mais, en plus, la Sécu devra payer le remède au prix fort (une centaine de bébés pourraient en bénéficier chaque année). Le 22 mai 2018, au cours d’un déjeuner organisé par le Club de l’Europe (une boîte de lobbying), le patron de Novartis France avait déjà évoqué, devant une brochette de députés, sénateurs et associations de patients, le coût du futur Zolgensma : « Il a parlé de 800 000 euros pour la France, mais ce sera peut-être plus, vu le prix délirant obtenu aux Etats-Unis » [ NDLR : le prix est de 2,1 millions de dollars pour une seule prise ], raconte un des participants.
La bourse ou la vie
Face aux milliards de profits déjà encaissés par les actionnaires d’Avexis, les 15 millions payés pour le brevet au Généthon ont l’air d’une mauvaise blague… « On est allés au bout de la négociation, assure la présidente de l’association. L’important, pour nous, c’était que le traitement voie le jour. » Une autre boîte, Regenxbio — qui possédait le brevet du vecteur viral —, s’est tout de même mieux débrouillée : Avexis a acheté les droits pour 260 millions de dollars, sans compter les royalties…
D’autres brevets de médicaments innovants inventés en France grâce à la recherche publique ont déjà été rachetés par des start-up étrangères. Mais, cette fois, les montants crèvent les plafonds. « On tire la sonnette depuis des années pour éviter ce scénario, assure Laurence Tiennot-Herment. Je ne compte plus les ministres et les présidents (y compris Emmanuel Macron) que l’on a interpellés pour les convaincre de créer une filière française des thérapies géniques, qui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation et qui permettrait de maîtriser le coût du médicament. Sinon, on est dépossédés de nos brevets. »
Voire tondus comme des moutons…
Dans le Canard enchaîné du 5 juin 2019.