Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a essuyé en quinze jours deux camouflets de taille, infligés par le Conseil constitutionnel. Un exploit pour cette ancienne prof de droit public qui a elle-même siégé parmi les « sages » de 2013 à 2017. Dernière déconvenue : la ministre, qui vantait l’« équilibre » de la loi anti-casseurs concoctée par son collègue Christophe Castaner, a pris en pleine figure, le 5 avril, l’annulation d’une bonne partie de ce texte par le Conseil constit’ (voir p. 2). Le 21 mars, déjà, c’était tout un pan de sa propre loi sur la justice qui avait subi un sort similaire.
Parquet extensible
Belloubet avait alors publié un improbable communiqué pour se couvrir de louanges et se « féliciter » d’une décision qui « valide l’essentiel des très nombreuses dispositions » de son texte. C’est pourtant l’« essentiel » de sa réforme du parquet pénal qui, ce jour-là, passait à la trappe…
Son projet de loi renforçait, pour la énième fois, les pouvoirs des procureurs placés sous la tutelle de la Chancellerie au détriment des juges d’instruction, en principe indépendants. Des dispositions octroyaient aux parquetiers le droit quasi illimité de recourir (y compris pour des petits délits) à des écoutes téléphoniques ou informatiques et à « des techniques spéciales d’enquête » — un terme désignant des gâteries comme la pose de micros et de caméras au bureau ou au domicile des suspects…
“Flan” indigeste
Manque de bol, les « sages » ont estimé que leur ex-collègue Belloubet piétinait les équilibres fondamentaux entre les impératifs de la chasse aux malfrats et « le respect de la vie privée, du secret des correspondances et de l’inviolabilité du domicile ».
Le Conseil, qui a sûrement lu « Le Canard » (31/10/18), a dénoncé au passage le rôle de faire-valoir que la Chancellerie entendait faire jouer aux juges des libertés et de la détention. Ces magistrats — qui, débordés, n’ont guère le loisir de regarder les dossiers avant de décider d’envoyer un quidam au trou — étaient censés contrôler les demandes des procureurs et donner leur autorisation avant tout espionnage d’un suspect.
« Du flan ! » a commenté en substance le Conseil constitutionnel. Et pour cause : le juge des libertés n’aurait pu accéder à l’ensemble de l’enquête ou être informé de son déroulé. Il n’aurait même pas eu le loisir d’annuler son autorisation, s’il jugeait qu’elle n’était « plus nécessaire à la manifestation de la vérité » ou s’il estimait que le parquet s’était payé sa fiole.
Réaction de Belloubet ? Ce passage drôlatique de son communiqué : « La garde des Sceaux prend acte de la décision du Conseil constitutionnel maintenant un régime complexe et encadré des écoutes téléphoniques. »
La ministre, elle, n’affiche pas le moindre « complexe »…
Mouais… Comme d'habitude, seul le plus violent, le chiffon rouge qui a énervé les pros et les médias, a été censuré… Il reste encore beaucoup de régressions et de dispositions liberticides dans les coins… Comme d'hab', ce n'est pas une victoire, mais une défaite.
Dans le Canard enchaîné du 10 avril 2019.