Scrutin public au Sénat sur la proposition de résolution du groupe écologiste visant à demander au gouvernement de prendre « les mesures nécessaires pour mettre en place un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, notamment d'activité, distribué par l'État à toutes les personnes résidant sur le territoire national, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement seront ajustés démocratiquement. »
Suffrages exprimés : 211 ; 11 pour ; 200 contre. On notera 132 abstentions provenant en majorité du groupe socialiste (109).
Cette proposition de résolution est donc rejetée. Une résolution n'a rien de contraignant c'est juste une déclaration de principes qui recommande au gouvernement de faire quelque chose. Donc ce n'est pas "grave".
En revanche, mercredi après-midi, le groupe socialiste a demandé la création d'une mission d'information « sur l'intérêt et les formes possibles de mise en place d'un revenu de base en France ». Au moins la gauche gouvernementale reprend l'idée des écolos…
J'ai lu en diagonale le compte-rendu analytique (
http://www.senat.fr/cra/s20160519/s20160519_4.html#par_146 ) et je note :
* Que nos sénateurs-trices sont parfaitement informé-e-s de l'existence d'expérimentations partout autour du globe : Manitoba (Canada), un village dans la République de Namibie (Afrique), Inde, Finlande (phase d'étude, expérimentation en 2017), Pays-Bas (projet d'expérimentation dans 30 villes). Exemple : « L'expérience canadienne dans le Manitoba montre qu'il n'en est rien. Les taux d'activité ont augmenté. Le revenu de base n'est pas un passeport pour l'oreiller mais une passerelle vers l'emploi, car les gens ont besoin d'être sécurisés. L'exemple des 930 habitants d'un village de Namibie montre que l'activité économique a crû, que le chômage a été ramené de 60 à 45 %, que l'activité entrepreneuriale ». On voit ici que ça marche mais on ne sait pas encore si ça passe à l'échelle : Manitoba = 1,2 million d'habitants, village de Namibie = 930 habitants, Finlande = 5,4 millions.
* Qu'il n'y a pas uniquement une opposition farouche des sénateurs-trices mais aussi beaucoup de questions plutôt légitimes, majoritairement autour du financement et de l'éligibilité :
* « Le revenu de base bousculerait le contrat social, dissocierait droits et devoirs, entend-on aussi. Cela se discute. ».
* « Le Conseil national du numérique indique en outre que le remplacement de tous les versements existants par un unique revenu universel reviendrait à ne verser que 200 euros par personne et 60 euros par enfant. ». « L'économiste Marc de Basquiat, président de l'association pour l'instauration d'un revenu d'existence (Aire), estime son coût à 400 millions d'euros pour 470 euros par mois par adulte. D'autres économistes jugent le mécanisme inefficace en-deçà de 1 000 euros par mois, niveau du seuil de pauvreté, ce qui coûterait 600 milliards d'euros... » soit « le coût de notre protection sociale.
Je ne sais pas comment ces chiffres sont calculés. Population française : 66 millions. Revenu mensuel proposé : 470 € par personne. 470 * 66 277 000 * 12 = 373 802 280 000. Donc 400 milliards par an. Si on compte que les adultes comme le dit la phrase : population : 50 232 144 (
http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=bilan-demo&page=donnees-detaillees/bilan-demo/pop_age2b.htm ). Donc : 470 * 50 232 144 * 12 = 283 309 292 160 donc 300 milliards par an. Pour 1000 €/mois pour tous et toutes, on serait à 795 324 000 000 € soit 800 milliards par an.
* « Si le revenu de base n'est financé que grâce au redéploiement des minima solidarité, son montant sera très faible : alignerez-vous les retraites à 700 euros, en plongeant nos seniors en-dessous du seuil de pauvreté ? ». La question est intéressante : est-ce qu'on prévoit des mécanismes de transition pour les personnes qui ont cotisé dans le passé pour obtenir, à leur retraite, une certaine somme "convenue" à l'avance par le contrat social ? Si oui, combien ça coûte en plus ?
* « S'agit-il d'un revenu direct ou d'un impôt négatif ? Les résidents étrangers doivent-ils être éligibles du seul fait de leur présence sur le territoire ? Poser la question, c'est embrasser d'emblée la complexité de la réponse.. ». La question est aussi intéressante : est-ce qu'on se ferme sur nous pour protéger nos acquis en mode Suisse ou est-ce qu'on partage… Avec les personnes qui ont obtenu l'asile ? Avec tout le monde ? Combien ça coûte dans chaque cas ?
* Qu'il y a des oppositions (dans les deux sens) farouches, bien ancrées et bien marquées :
* « Pour reprendre les termes de l'économiste Yann Moulier-Boutang entre le modèle de la cigale insouciante et de la fourmi laborieuse s'interpose celui de l'abeille vertueuse. »
* « Simplification pour les bénéficiaires également, qui n'auraient plus à effectuer la moindre démarche, alors que le taux de non recours au RSA, par exemple, avoisine les 50 %. »
* « Preuve qu'un tel revenu doit être souple, adapté à la situation de chacun, sinon comme le RSA il entretiendra l'oisiveté, et attirera les immigrants... »
* « Notre société est prisonnière d'un paradoxe durable. D'une part, la valeur travail est une valeur cardinale dès l'école et tout au long de la vie, aussi bien pour l'insertion individuelle que pour la transmission des savoir-faire - donc, vive le travail ! »
* Que, pour l'instant, le gouvernement ne veut pas s'engager dedans car trop de flou, il retient un seul aspect du revenu de base qui est la disparition de toute autre forme d'aide (fusion des aides) et essaye de faire passer son bilan : le plan contre la pauvreté simplifie les aides, renouveau de la prime d'activité (fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité), 2,6 milliards supplémentaires seront reversés à 2,7 millions de ménages, etc. Aider les plus démunis est fort louable et nécessaire mais ce n'est qu'une toute petite partie des objectifs du revenu de base.
Perso, je pense que le contexte politique n'est pas bon : on n'a pas abandonné le RMI (qui n'est qu'une partie du revenu de base, on est d'accord) pour passer au RSA pour revenir en arrière 10 ans après, c'est trop court au niveau "temps politique". Et un revenu de base irait totalement à l'opposé du baratin habituel de "pas d'argent dispo, pas d'argent dispo" qu'on nous sort à longueur de temps depuis plus de 30 ans… Politiquement, ça passerait mal.